6 Juillet 2020
Jusqu'au 07 janvier dernier, j’avais parcouru la Via Francigena de Calais à Bapaume, soit plus ou moins 200 km, et si je veux pouvoir arriver à Rome avant de devenir sénile, il est alors temps que je me remette en route.
Cette semaine, donc, ce sont les 130 km qui séparent Bapaume de Laon que je devrais parcourir. Je dis bien, que je devrais, car il semblerait que les Bretons , - ou les Normands, je ne me rappelle jamais – nous renvoient la pluie pour la deuxième partie de la semaine ! Wait and see, comme on dit de l’autre côté du channel…
Comme vous le savez, je ne parcours pas la Via Francigena en tant que pèlerin, mais comme vulgaire touriste. C’est-à-dire que je me trouve une chambre d’hôtes sympa dans la région et que je rejoins chaque jour le départ de la randonnée. En réalité, je laisse ma voiture à l’arrivée et je rejoins le départ avec les moyens disponibles.
Aujourd’hui, au programme, Bapaume – Péronne, environ 32 km. Mais comment rejoindre mon point de départ à Bapaume quand il n’y a ni bus, ni train, ni Uber, ni Blablacar, et que l’autostop n’est pas possible en cette période de coronavirus !? Eh bien, le taxi pardi ! Oui, sauf qu’à Péronne, il n’y a que 4 taxis et qu’il faut donc patienter pour avoir le sien ! Ainsi donc, il est presque 11hr quand je démarre l’aventure…
Je pense ne pas me tromper en disant que la ville de Bapaume est largement méconnue. En-dehors des gens de la région, qui en a déjà entendu parler ? Et pourtant, l'histoire de Bapaume est riche depuis la période gauloise. Trop riche que pour être abordée intégralement ici !
La mairie de Bapaume possède un beffroi dont l'histoire n'est pas banale. L'actuel date de 1931-1932, le précédent ayant été détruit en 1917, pendant la première guerre mondiale.
Mais le premier beffroi fut élevé au XIIè siècle. Devenu trop petit, il fut remplacé par un plus grand en 1374. Celui-ci fut à son tour abattu en 1537, devenu trop dangereux suite aux différents conflits qui eurent lieu entretemps. En 1583, on remet le couvert. Mais, refusé, on le détruit à nouveau et c'est seulement en 1610 qu'un nouveau beffroi fait son apparition. Jusqu'en 1917, donc.
Située sur la route Bavay - Amiens, Bapaume fut considérée depuis la période gauloise comme objectif stratégique par tous les belligérants. La ville fut ainsi détruite à plusieurs reprises à travers les siècles.
Un peu après la mairie, en direction du faubourg de Péronne, on passe devant l'église Saint-Nicolas. Celle-ci date de 1929, reconstruite après les destructions de la première guerre mondiale. Dans sa chapelle, on peut encore admirer une statue de Notre-Dame de Pitié datant du XVè siècle, ayant bravé toutes les destructions.
La première église fut construite ici en 1085, mais disparut au XIVè siècle. Un nouvel édifice fut bâti vers l'an 1600 pour être ensuite détruit durant le premier conflit mondial.
Le premier chemin de terre en quittant Bapaume me laisse penser que cette randonnée ne sera pas toujours une partie de plaisir...
Une fois passé les quelques bosquets du début, les champs s'étalent à perte de vue...
Au bout de 3,5 km, au fond de la Vallée de Mory, un cimetière militaire nous rappelle l'importance stratégique de la ville, et ce durant les deux guerres mondiales. Mais c'est aussi, avant tout, du sacrifice de centaines de milliers de jeunes soldats pour préserver notre liberté dont il s'agit.
Le Beaulencourt British Cemetery fut ouvert en septembre 1918 et accueillit les corps des soldats tués sur les champs de bataille environnants. Après la guerre, on y ramena aussi des dépouilles venant d'autres cimetières. Ils sont 700 soldats à être honorés ici.
À 500 mètres de là, se trouve le Thilloy Road cemetery. Un parmi bien d'autres dans la région...
Puisqu'il n'y a que des champs à perte de vue, on fait comme les vaches, on regarde le train passer. Enfin, si déjà on avait la chance d'en voir un !
On passe alors en lisière de Beaulencourt et Riencourt-lès-Bapaume, de petits villages campagnards entourés de champs à perte de vue...
On passe encore devant un cimetière, ici le Manchester Cemetery de Riencourt...
Au bout de huit kilomètres, environ, on rencontre le premier passage ombragé depuis le départ !
Mais ça ne dure pas longtemps et on se retrouve rapidement sur un passage indigne d'un GR !
À Villers-au-Flos, le balisage caractéristique de la Via Francigena est en bon état ! C'est loin d'être toujours le cas. Mais, ici, JC veille !
On quitte Villers-au-Flos par un beau chemin.
L'église Notre-Dame de Rocquigny, en Pas-de-Calais - car il y a aussi un Rocquigny dans l'Aisne, et un autre dans les Ardennes -, ne laissera sans doute personne indifférent.
L'église originelle fut détruite pendant la première guerre mondiale. Celle-ci date des années 1929-1930 et est classée monument historique.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je la trouve très moche. De loin, ne voyant que le clocher, je pensais que c'était une sorte de silo, ou même une fusée sur son pas de tir !
Partout ce ne sont que champs...
On passe au-dessus de l'autoroute A2, limite entre le Pas-de-Calais et la Somme.
A ma grande surprise, j'y découvre de tous nouveaux panneaux indicateurs ! La Somme aurait-elle enfin décidé de promouvoir la Via Francigena !?
Dans tous ces champs, on se contentera de quelques arbres...
J'ai failli enlever le panneau "travaux" avant de prendre la photo mais je ne voulais pas prendre le risque que mon aventure sur la Via Francigena se termine prématurément au poste.
Aux environs du vingtième kilomètre, la Via Francigena passe à hauteur du bois de Rancourt, de son vrai nom le Bois Saint-Pierre Vaast.
Cela aurait été banal si ce bois n'avait connu de tragiques combats le 5 novembre 1916. En effet, ce jour-là, malgré un terrain boueux qui les désavantage, les Chasseurs Alpins des 6, 27 et 28è Bataillons de Chasseurs Alpins parviennent à reprendre la position aux troupes allemandes. Mais ceux-ci contre-attaquent rapidement. Coupés de leurs lignes d'approvisionnement, à court de munitions, les Français se battent vaillamment au corps à corps. Mais en vain, ils seront tous exterminés.
A Rancourt se trouve aussi la plus grande des nécropoles françaises de la Somme.
Quand je pensais que la Somme se préoccupait enfin de la Via Francigena, ce n'était qu'un faux espoir. Non seulement le marquage est toujours absent en Somme, mais des parties du chemin sont aussi laissées à l'abandon !
Et pourtant ce pourrait être un passage sympa...
Après Rancourt, nous arrivons au petit village de Bouchavesnes-Bergen et son église Saint-Paul blottis dans la vallée.
Jusqu'en 1920, le village s'appelait Bouchavesnes. Pendant la première guerre mondiale, le village fut totalement détruit. Après celle-ci, le richissime armateur norvégien Haakon Wallem était à la recherche d'un village à adopter. C'est le maréchal Foch qui lui désigna le village de Bouchavesnes. En remerciement à la générosité des Norvégiens et de Haakon Wallem, originaire de Bergen, le village prit le nom de Bouchavesnes-Bergen.
On sort de Bouchavesnes-Bergen par une petite route asphaltée, direction sud sud-est vers Allaines. Mais au bout d'un petit kilomètre, on bifurque à droite sur un beau chemin de terre qui descend vers le fond de la vallée de la Tortille. L'arrivée de l'étape n'est plus très éloignée.
Dans le fond de la vallée, c'est d'abord le canal du Nord qu'on découvre.
Ouvert à la navigation en 1965, il a été construit pour permettre un gabarit plus important que le canal de Saint-Quentin utilisé jusqu'alors.
D'une longueur de 95 km, il relie le canal Dunkerque-Escaut au canal latéral à l'Oise mais contrairement à ceux-ci qui autorisent le passage de péniches de 2.000 tonnes, le canal du Nord n'accepte que les péniches de 900 tonnes. C'est la raison pour laquelle la construction d'une nouvelle liaison, le canal Seine-Nord Europe, devrait débuter en 2022.
Ce n'est en tout cas pas sur La Tortille qu'on aurait fait flotter la moindre péniche !
On traverse la vallée pour remonter sur le versant sud, vers Mont Saint-Quentin.
L'endroit d'où j'ai pris la photo ci-dessous fut témoin, le 31 août 1918, d'un acte héroïque. Alors que les Australiens progressent pour prendre les positions allemandes situées de l'autre côté de la vallée, des mitrailleuses allemandes postées à proximité d'ici les obligent à se replier. Bien que blessé, le Lieutenant Edgar Towner se précipite sur les Allemands, saisit une de leurs mitrailleuses qu'il retourne contre eux. Son acte héroïque permit aux Australiens de prendre le contrôle de la vallée. Towner refusa d'être évacué et continua le combat. Déjà porteur de la Military Cross, il fut décoré de la Victoria Cross.
Situé au confluent de la Somme et de la Tortille, le Mont Saint-Quentin, avec ses 100 mètres d'altitude, était une importante position stratégique pendant la première guerre mondiale. Ce fut d'ailleurs le dernier bastion tenu par les Allemands lors de la bataille de la Somme.
Mais le Mont Saint-Quentin avait auparavant aussi été le siège d'une importante abbaye bénédictine aujourd'hui complètement disparue. Bâtie en 660, elle fut détruite à plusieurs reprises, notamment par les Vikings à la fin du Xè siècle. Mais c'est la Révolution française qui lui asséna le coup de grâce, lorsqu'elle fut vendue par lots.
Signe de son importance, elle détenait diverses reliques du Christ ramenées par les Croisades : un morceau de la Sainte Croix, un fragment de clou, une partie de la couronne d'épines, des langes de Jésus, une pierre du calvaire, une pierre du Saint-Sépulcre et une partie de la crèche de Jésus !
Aujourd'hui il n'y reste plus qu'une petite église même pas référencée.
Depuis le Mont Saint-Quentin, c'est une longue, trèèèèèèssssssss longue traversée de Péronne, trois kilomètres en fait, qui nous amène à l'Historial de la Grande Guerre !
Celui-ci est installé dans l'ancien château qui fut construit au XIIè siècle. N'en subsiste aujourd'hui que les quatre tours que l'on peut voir depuis la place André Audinot.
Au moment de mon passage, il était fermé jusqu'au 10 septembre 2020.
La randonnée se termine un peu plus loin sur la place du commandant Louis Daudre.
De là, on peut observer l'église Saint-Jean-Baptiste de Péronne, classée monument historique. Consacrée en 1525, elle est la seule à subsister des six églises que comptait Péronne avant 1789.
Elle fut pourtant très sérieusement endommagée pendant la première guerre mondiale, et subit encore des dégâts lors de la seconde guerre. En fait, seule la façade de l'édifice est encore d'origine.
Petite anecdote : en juillet 1916, juste avant l'évacuation de la ville, l'abbé mit les reliques de Saint-Fursy à l'abri dans le coffre-fort. Confiant en la nature humaine, il laissa la clef sur le coffre. On ne revit jamais les fameuses reliques...
Devant l'église, trône une statue de Marie Fouré, symbolisant la résistance des habitants de Péronne face à Charles Quint lors du siège de 1536. Sur les remparts, elle se serait saisie de l'étendard espagnol des mains du soldat qui devait l'y planter en signe de victoire. Après avoir poussé le soldat dans le vide, elle alla planter le drapeau au cœur de la cité, qui cria victoire.
Plus tard, pendant le siège, alors que la ville manquait de farine, elle aurait fait cuire des pâtisseries qu'elle alla jeter au-dessus des remparts, laissant croire aux Espagnols que la ville ne manquait pas de ressources.
En tournant le regard vers la gauche, on peut encore observer l'hôtel de ville de Péronne, de style Renaissance.
Pour les passionnés d'Histoire militaire, l'itinéraire d'aujourd'hui permet d'en apprendre beaucoup sur les événements qui se sont déroulés ici pendant la première guerre mondiale. Pas seulement sur cette période d'ailleurs, puisque la région possède un fabuleux passé.
Par contre, les randonneurs resteront sans doute sur leur faim. Les trente-deux kilomètres se parcourent essentiellement à travers champs, sans beaucoup de relief, quand ce n'est pas en pleine ville, à l'image des trois derniers kilomètres à travers Péronne.
Pour couronner le tout, il est triste de constater que, dans la Somme, même des chemins de grande randonnée ne sont visiblement pas entretenus ! Bref, ce n'est sûrement pas la plus belle portion de la Via Francigena entre Calais et Péronne.