15 Septembre 2020
Après une bonne nuit de repos à Bétheny, dans la banlieue de Reims, où nous avons réservé deux chambres d'hôtes pour toute la semaine, nous voilà de retour à l'étang des Moines, à proximité immédiate de l'Abbaye de Vauclair, pour une nouvelle étape sur la Via Francigena. Aujourd'hui, nos pas nous emmèneront jusque Berry-au-Bac. Et la météo annonce encore plus de 30° C...
Comme les moines construisirent l'abbaye à 500 mètres de l'Ailette, il fallut creuser des canaux et des puits pour son approvisionnement en eau. Il y avait aussi un petit moulin et un étang où les moines élevaient du poisson. En effet, à l'abbaye, la consommation de viande était interdite pendant le Carême et les vendredis.
Mais les moines de l'époque n'ont pu connaître cet étang depuis lequel nous commençons notre randonnée. En effet, pendant la première guerre mondiale, d'intenses bombardements bouleversèrent complètement les lieux. L'étang actuel date ainsi de... 1968 !
De l'autre côté de la D886, nous découvrons l'Abbaye de Vauclair. Ou en tout cas du peu qu'il en reste.
Fondée en 1134 par Bernard de Clairvaux, son nom est directement inspiré de l'abbaye de Clairvaux puisque son fondateur, connu aussi comme Saint Bernard, a l'idée de simplement en inverser les syllabes. A-t-on ici affaire à une expression du verlan qui était déjà pratiqué au Moyen-Age ? Mystère...
Ainsi donc, un groupe de moines est envoyé ici, dans la vallée de l'Ailette pour fonder une nouvelle abbaye cistercienne. Rapidement, grâce aux dons de riches familles, l'abbaye prospère.
Au XIIIè siècle, les moines décident de raser l'abbaye initiale pour en rebâtir une plus vaste. Mais fortement endommagée durant la guerre de Cent ans, elle connaît encore de nombreux agrandissements et modifications.
À la révolution française, déclarée bien national, elle est vendue comme exploitation agricole à des particuliers. Pendant la première guerre mondiale, et particulièrement en 1917, ce qui reste de l'abbaye subit les feux de l'artillerie et souffre d'importants dommages.
Tombée dans l'oubli, envahie par la végétation, ce n'est que dans les années 1960 qu'un jeune jésuite belge, le père René Courtois, passionné par l'abbaye, entreprend des fouilles qui mènent en 1970 au classement du site comme monument national.
À l'emplacement de l'ancienne infirmerie de l'abbaye, le père Courtois a créé un jardin des plantes médicinales, soulignant le rôle social important que les moines entretenaient à l'égard de la population locale.
Notre visite de l'abbaye terminée, nous pénétrons dans la Forêt domaniale de Vauclair en empruntant le Chemin des Soldats.
Si le lieu est enchanteur, et même si aucun avertissement n'est affiché (!), il est quand même bon de savoir que le sol regorge de munitions non explosées de la première guerre mondiale et de déchets toxiques résultant de l'utilisation massive de munitions chimiques ! Personnellement, je ne pique-niquerais pas ici !
Nous rejoignons alors le Chemin du Roi, que nous avions abandonné hier, pour une longue ligne droite de trois kilomètres à travers la forêt. Certes, le chemin est agréable et on profite de l'ombre, mais ça manque de variété...
Au bout de cette ligne droite interminable, nous nous engageons sur la D19, que nous quittons presqu'aussitôt pour gagner Corbeny à 3 km par la D62.
Ici, pas de longue ligne droite mais des paysages variés et une route départementale toute en courbes et en bosses, pour notre plaisir. Dommage que ce soit de l'asphalte ! Comme quoi, on ne peut pas tout avoir !
Nous entrons dans Corbeny par l'ouest, au carrefour avec le fameux Chemin des Dames.
Si vous avez déjà emprunté l'autoroute A26 venant du nord vers Reims, vous n'aurez sans doute pas manqué de voir ce grand panneau touristique annonçant le Chemin des Dames. Personnellement, je l'avais déjà vu à de nombreuses reprises mais je ne m'étais jamais arrêté dans la région.
C'est ainsi que j'ai toujours cru que le Chemin des Dames était une tranchée, vestige de la première guerre mondiale, telle que le Boyau de la Mort à côté de Dixmude, en Belgique, ou la Tranchée de Chattancourt à Verdun. Eh bien, non, le Chemin des Dames est une route ! On a tant de choses à apprendre !
Bon, avec ça, j'allais oublier de vous dire que nous découvrons là, à ce carrefour, les premières vignes de notre périple. Mais ce n'est pas du Champagne ! On ne produit d'ailleurs, à Corbeny, aucun vin d'appellation.
Quant à l'épée qui trône là, il s'agit de l'épée Excalibur de Corbeny, symbole de paix, entièrement composée d'éclats d'obus. Elle fut installée là en 2013, en prémices des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale.
Nous poursuivons alors jusqu'au centre de Corbeny. Voilà encore une ville que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam et pourtant cette bourgade d'un peu plus de 800 habitants actuellement peut se prévaloir d'un fameux passé !
Construite au carrefour de l'ancienne chaussée gauloise Fismes - Dizy-le-Gros et de l'ancienne voie romaine Reims - Arras, c'est sans doute cette position stratégique qui lui donna son importance.
Sa riche histoire commence en 776 quand Charlemagne y est reconnu roi par les Francs d'Austrasie. Mais Corbeny disposait déjà d'une résidence royale où Pépin le Bref séjourna avec son fils Charlemagne.
En l'an 900, sous la menace des invasions normandes, les religieux de Nanteuil, en Normandie, se réfugient à Corbeny, emmenant avec eux les reliques de Saint-Marcoul. Un prieuré est construit pour les héberger.
À partir de Louis X, au début du XIVè siècle, les rois de France prennent coutume d'y venir en pèlerinage au lendemain de leur sacre à Reims. Louis XIV mettra fin à cette coutume en faisant venir les reliques à la basilique Saint-Remi de Reims. Corbeny tombera alors progressivement dans l'oubli.
La ville, l'église du XIè siècle et le prieuré furent totalement rasés lors de l'offensive du Chemin des Dames en 1917.
L'église Saint-Quentin fut reconstruite après la première guerre mondiale et abrite encore aujourd'hui les reliques de Saint-Marcoul. Ces reliques ont la réputation de guérir l'adénopathie cervicale tuberculeuse chronique et, par extension, les furoncles et les abcès.
De Corbeny, l'itinéraire emprunte la D62 jusque Juvincourt-et-Damary. Ce sont cinq kilomètres sur route asphaltée et en plein soleil par une température supérieure à 30° C. Avec le bitume qui réverbère la chaleur, c'est dans une vraie fournaise que nous progressons mais c'est aussi dans ces conditions que nous mesurons notre motivation !
La traversée de Juvincourt-et-Damary ne nous montre rien d'exceptionnel. Peut-être écrasés par la chaleur, nous ne pousserons même pas jusque l'église et nous nous contenterons de profiter du peu d'ombre que nous procurent les arbres plantés autour de la chapelle pour récupérer un peu.
Pour l'aspect historique, on retiendra que le village sortit complètement détruit de la première guerre mondiale. Pendant la deuxième guerre mondiale, l'armée allemande récupéra le terrain d'aviation construit en 1937 par les Français.
Ils l'agrandirent et l'aménagèrent au point d'en faire le plus important aérodrome militaire en France occupée. Plus de 300 appareils y étaient stationnés et c'est d'ici que de nouveaux appareils effectuèrent leur premier vol opérationnel. Ce fut ainsi le cas du Messerschmitt 262, premier avion militaire à réaction de l'Histoire.
Après la guerre, c'est de cet aérodrome que la plupart des prisonniers de guerre libérés furent renvoyés dans leurs pays respectifs.
L'aérodrome n'a pas complètement disparu puisque les pistes ont été aménagées pour en faire l'unique centre d'essais de l'équipementier automobile Bosch en France.
Après notre courte halte près de la chapelle, nous rejoignons la Miette, le petit cours d'eau qui traverse Juvincourt-et-Damary. Enfin, je ne sais pas si on peut encore appeler ça un cours d'eau vu qu'on n'y voit aucune trace d'eau ! Si j'osais, je dirais qu'il n'en reste même pas des miettes !
Nous suivons alors la Miette pendant deux kilomètres et profitons de l'ombre des arbres qui la bordent. Le sol est tellement sec que chacun de nos pas soulève la poussière !
Ensuite, après avoir abandonné la Miette dans son lit, encore deux kilomètres en plein soleil et nous arrivons enfin à Berry-au-Bac, fin de notre étape !
Enfin... fin de notre étape... Il nous faut encore traverser Berry-au-Bac et remonter sur l'autre versant de la vallée sur 1,5 km pour pouvoir dire que nous en avons fini.
Nous traversons la ville par la rue des Écoles. N'est-elle pas jolie d'ailleurs, cette école ? Dans la même rue, un peu plus loin, nous passons devant l'église Saint-Hilaire.
La présence de l'Homme, à Berry-au-Bac remonte à très longtemps puisqu'on trouve déjà trace d'un important site d'occupation datant du néolithique. On découvrit aussi une nécropole mérovingienne.
Quelques événements de l'Histoire se déroulèrent ici :
En quittant le centre-ville de Berry-au-Bac, nous franchissons d'abord l'Aisne, et puis le canal latéral de l'Aisne. Sous le pont, nous pouvons observer une péniche entrer dans l'écluse N° 3 du canal latéral. Mais c'est aussi ici, à 200 mètres, que se trouve l'écluse N° 1 du canal de l'Aisne à la Marne. Nous en reparlerons dans les prochains jours, de celui-là !
Pressés d'en finir avec cette étape, nous ne prendrons pas le temps de voir si cette péniche va s'y engager...
Quand on se penche après coup sur l'Histoire des villages traversés, on pourrait être en droit de se dire que voilà une randonnée intéressante. En réalité, il n'en est rien puisque tout ou presque a été effacé par les ravages de la première guerre mondiale.
En outre, l'itinéraire propose beaucoup d'asphalte, les villages traversés n'ont guère de charme et la chaleur caniculaire de ce jour aura mis en évidence le manque de passages ombragés.
Bien sûr, tout ce qui précède ne concerne pas l'Abbaye de Vauclair et la traversée de la Forêt domaniale.
Un beau début d'étape, donc. Mais nous nous serions bien passés du reste.
Nous n'avons cependant pas perdu notre journée puisque, en voiture cette fois, nous sommes allés visiter quelques-uns des haut-lieux historiques des environs. Pour ceux que ça intéresse, je vous explique tout ça ci-dessous.
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Histoire d'un chemin
Nous avons profité de notre passage à proximité du Chemin des Dames pour en visiter quelques lieux symboliques, que personnellement je ne connaissais pas.
Je n'ai pas la prétention ici de vous en faire un récit exhaustif, il y a suffisamment de sites Internet et de livres qui y sont consacré et vous en parlent sûrement mieux que moi. Mais peut-être vous donnerai-je envie d'aller passer quelques jours dans une région qui ne manque pas d'intérêt ?
Le monument des Chars d'Assaut
En décembre 1916, le général Nivelle qui vient de remporter quelques succès à Verdun, remplace le général Joffre a la tête des armées françaises. Il affirme avoir un plan pour percer le front allemand en 24 ou 48 heures au début de l'année 1917 et mettre ainsi un terme à la guerre.
Pour cela, il rassemble près d'un million d'hommes qui doivent attaquer entre Soissons et Reims dans un premier temps, puis, dans un second temps, à l'est de Reims.
Il compte sur deux atouts : les tirailleurs sénégalais dont les Allemands ont très peur, et une arme nouvelle pour les Français, le char d'assaut !
Conçu par le général Estienne, un artilleur, et par Eugène Brillié, ingénieur aux Etablissements Schneider, le char Schneider CA-1 sera produit à 400 exemplaires entre 1916 et 1918. Un seul exemplaire subsiste et est visible au Musée des Blindés de Saumur. Celui que vous pouvez voir sur les photos ci-dessous n'est donc qu'une reproduction.
Il se trouve au monument des Chars d'Assaut situé au carrefour des D925 et D1044 à Berry-au-Bac, en compagnie d'un AMX-30 plus moderne. Le monument a été érigé en 1922 à l'emplacement de la ferme du Choléra d'où s'étaient élancés, le 16 avril 1917, les 80 chars du groupement Bossut.
Au fil des ans le monument est devenu un mémorial de l'arme blindée cavalerie et, chaque année autour du 16 avril, une grande cérémonie commémorative est rehaussée par la présence d'un détachement du 501-503 régiment de chars de combat de Mourmelon.
Le Chemin des Dames et le plateau de Californie
À la fin du XVIIIè siècle, le Chemin des Dames n'était qu'un petit chemin à peine carrossable. Entre 1776 et 1789, il fut régulièrement emprunté par les filles du roi Louis XV, Adélaïde et Victoire, qui se rendaient au château de la Bove, château qui appartenait à la maîtresse de Louis XV, la duchesse Françoise de Châlus.
Pour faciliter le déplacement des jeunes dames, on finit par empierrer le chemin. À partir de là, on l'appela le Chemin des Dames.
Quant au plateau de Californie, il doit son nom à Henry Vasnier, un négociant en vin de champagne qui, fin du XIXè siècle, achète une quarantaine d'hectares sur le plateau de Craonne.
Il y transforme une ferme en maison de plaisance, fait aménager un jardin d'agrément planté d'essences luxuriantes et exotiques et y organise des réceptions. Nous sommes à l'époque de la ruée vers l'or aux Etats-Unis et la Californie est sur toutes les bouches. Très vite, on désignera l'endroit de "Californie".
En ce début d'année 1917, le général Nivelle lance donc son offensive en direction du Chemin des Dames et du plateau de Californie. Mais occupant les lieux depuis 1914, les Allemands ont truffé la colline de tranchées et de souterrains. Malgré l'intense préparation d'artillerie, ils n'auront subi que peu de dommages quand les troupes françaises monteront à l'assaut de la colline.
De plus, la météo n'est pas favorable aux Français. Ce 16 avril, il neige. Les tirailleurs sénégalais, pas du tout préparés à progresser dans de telles conditions, rencontrent des difficultés, ont les pieds gelés. Quand aux chars d'assaut, ils se retrouvent isolés de l'infanterie qui ne peut les suivre dans un sol boueux, instable, retourné et parsemé de cratères provoqués par leur propre artillerie.
La bataille qui ne devait durer que 48 heures maximum prit fin le... 25 octobre 1917. Après deux mois d'offensive, on estime les pertes françaises à 200.000 hommes. Mais ces échecs successifs provoquent aussi le mécontentement parmi les soldats et, en 1917, de nombreuses mutineries éclateront. Environ 3500 soldats passeront devant les conseils de guerre, 554 seront condamnés à mort, et 49 seront exécutés.
Aujourd'hui, une tour observatoire a été construite sur le plateau de Californie. On y accède depuis le Chemin des Dames par plusieurs chemins qui gravissent la colline. Ca permet déjà de se rendre compte de la difficulté de monter à l'assaut des positions allemandes.
De part et d'autre du chemin, on distingue encore le terrain labouré par les tirs d'artillerie, même si la végétation y a repris ses droits.
De la tour observatoire, on a une vision imprenable sur la région et on comprend d'autant mieux pourquoi le contrôle de ce plateau était de la plus haute importance pour les belligérants.
La nécropole nationale de Craonnelle
Ce n'est pas la seule dans les environs du monument des Chars d'Assaut mais celle de Berry-au-Bac n'était pas accessible quand nous y sommes passés et celle de Cerny-en-Laonnois était la plus éloignée.
La nécropole nationale de Craonnelle avait déjà été créée pendant la guerre, à proximité d'un poste de secours. Avouez que ce n'était pas très encourageant pour les blessés qui y arrivaient !
Elle avait été aménagée pour accueillir les soldats morts pendant les combats du Chemin des Dames. Puis, après la guerre, on y amena aussi les dépouilles de ceux inhumés au plateau de Californie et aux Casemates.
Près de 4000 soldats français, dont la moitié environ dans deux ossuaires, sont enterrés ici mais on y trouve également 24 britanniques et 2 Belges. Pour notre part, nous n'aurons trouvé qu'un Belge...
Le monument à Napoléon Ier
Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir une statue de Napoléon Ier sur le plateau de Hurtebise, au nord de Craonnelle, le long du Chemin des Dames !
Elle commémore la bataille de Craonne, le 7 mars 1814, qui se conclut par une victoire des troupes de Napoléon sur les armées russes et prussiennes du maréchal von Blücher. Le même qui prit sa revanche à la bataille de Waterloo en 1815.