1 Juin 2022
"Qui va loin ménage sa monture", dit le dicton. Et j'ai choisi de le respecter, les deux prochaines étapes s'annonçant longues et difficiles (selon mes propres critères). Celle du jour me verra donc rejoindre Mouthier-Haute-Pierre au départ d'Ornans pour une distance de 15 kilomètres et un dénivelé positif d'un peu plus de 200 mètres.
Aujourd'hui, me rendre au départ s'avère nettement plus facile qu'hier. Je dépose ma voiture à l'arrivée à Mouthier-Haute-Pierre et le bus LR 204 de la ligne Mobigo Pontarlier-Besançon me ramène à Ornans.
Côté météo, ça s'est encore un peu dégradé par rapport à hier et quelques gouttes de pluie ne sont pas exclues. Mais les températures restent fort agréables pour randonner.
L'itinéraire sur la Via Francigena débute normalement par la traversée de la passerelle Courbet sur la Loue, datant de 1863, à l'angle de la place Courbet. Mais des travaux la rendant impraticable jusqu'au 22 octobre 2022, il faudra faire le tour par le Grand Pont.
Et ce n'est pas plus mal car ça nous permet de découvrir la très belle rue Pierre Vernier et le non moins superbe bâtiment de la Mairie.
Du Grand Pont, construit au XVIIè siècle, c'est la Loue et les maisons colorées la bordant qui font le spectacle au point que la ville s'est vue attribuer le surnom de "petite Venise comtoise". Une contribution importante à la réputation d'Ornans comme centre touristique incontournable de la région.
À l'autre bout du Grand Pont, la Via Francigena se dirige vers la gauche, à l'angle du musée Courbet. Mais le quartier est probablement le plus typique d'Ornans - j'avoue néanmoins ne pas avoir visité toute la ville - et je décide alors de bifurquer à droite pour me rendre à l'église Saint-Laurent.
Construite à partir de 1546, l'église Saint-Laurent remplace un édifice du XIIè siècle détruit en 1300 lors de la révolte des seigneurs comtois contre Philippe IV le Bel, roi de France.
De nombreux aménagements ont été effectués au cours des siècles, le plus remarquable étant sans doute le clocher à la base romane surmontée d'un étage du XVIIIè siècle. Le porche, lui, fut ajouté au XVIIè.
De l'église, on peut voir distinctement le château, visité hier, perché sur son rocher.
De retour à proximité du pont. À plusieurs reprises déjà, j'ai mentionné le nom de Courbet. Le peintre et sculpteur Gustave Courbet est en effet né à Ornans le 10 juin 1819.
Chef de file du courant réaliste, cet individualiste autodidacte fut un peintre prolifique avec plus de mille peintures à son actif.
Si vous êtes passionné de peinture et désireux de connaître l'œuvre et la vie de cet artiste hors norme, je ne peux que vous recommander de visiter le musée qui lui est dédié, ici à Ornans. Comme des dizaines de milliers de personnes, chaque année...
Nous quittons le centre-ville par la rue de la Froidière, sur la rive gauche de la Loue. De la route, nous bénéficions de superbes vues sur le cours d'eau et les environs.
Le pont de Nahin date lui aussi du XVIIè siècle, à l'instar du Grand Pont traversé plus tôt. La fontaine-lavoir située à proximité daterait, elle, du XIXè.
Ce quartier de Nahin qui nous voit quitter définitivement Ornans possède vraiment beaucoup de charme.
La petite route asphaltée traverse la plaine alluviale. Sur la gauche de la vallée, les hautes falaises de calcaire laissent deviner le plateau jurassien tandis qu'à droite le relief est tout en rondeurs.
Au moment où nous quittons la campagne pour entrer dans le Bois de la Soue, le chemin rejoint le tracé de l'ancienne voie ferrée L'Hôpital-du-Gros-Bois - Lods, celle-là même que nous avions traversée hier avant de descendre à la grotte de Plaisir Fontaine.
Sept cents mètres plus loin, au lieu-dit Près Gutti, une aire de pique-nique a été aménagée en bord de Loue. Un superbe endroit où je me serais bien posé mais avec quatre kilomètres parcourus depuis le départ, c'est encore un peu tôt.
Puis suivent trois longs kilomètres sans autre intérêt que le cadre de la vallée de la Loue. C'est beau, indubitablement, mais c'est un peu comme le train-train quotidien, si je puis dire.
Dans l'intervalle nous aurons dépassé Montgesoye, totalement sis sur la rive opposée de la rivière, ne nous laissant qu'une petite zone d'activités économiques pour nous distraire quelque peu.
Mon intérêt se réveille dans une grande courbe à droite du chemin, aux Ouyettes, peu avant d'arriver à Vuillafans, quand au loin la vallée semble se rétrécir laissant augurer un relief plus accidenté. Ça agit sur moi comme un coup de boost !
Un peu plus loin, un vieux pont de chemin de fer, premier vestige visible de la voie ferrée depuis le départ, capte aussi mon attention. C'est là aussi où mon estomac me signale qu'il est bientôt midi et que des bancs ont été opportunément installés sur la zone.
Alors, l'effet boost, ce sera pour plus tard même si c'est le moment choisi par la pluie pour commencer à tomber !
L'organisme ayant reçu sa pitance, on reprend la route.
Contrairement à Montgesoye, Vuillafans est installé sur les deux rives de la Loue. Nous quittons momentanément le tracé de l'ancienne voie ferrée pour découvrir le charme indéniable du quartier situé au sud de la rivière.
On ne peut parler de Vuillafans sans parler de ses deux châteaux. Le premier, Châteauvieux, est construit au XIè siècle sur la rive gauche de la Loue. Bien que détruit en 1807 par un incendie, des investisseurs privés le rachètent et le reconstruisent. Propriété privée, il n'est pas ouvert à la visite.
Châteauneuf est élevé au début du XIIIè siècle sur la rive droite. Fortifié, entouré de fossés, il est toutefois pris par les troupes de Louis XI vers 1479, et démantelé. Il n'en reste aujourd'hui que quelques pans de l'enceinte sud-ouest.
En quittant Vuillafans, on peut voir une avancée rocheuse sur le versant opposé de la vallée. Et si on fait très attention, à son sommet, il est possible d'apercevoir les vestiges de Châteauneuf envahis par la végétation...
La route s'élève en épingles à cheveux à travers le Champ des Maux. On y bénéficie d'une très belle vue sur Vuillafans. On aperçoit quelques vignes à l'arrière du village.
On trouve trace de vignes dans l'histoire de Vuillafans depuis 1200. Au Moyen-Âge, les coteaux de la rive droite de la vallée étaient couverts de vignes. Puis, elles disparurent. Ce n'est qu'en 1984 qu'on en replanta.
La Via Francigena emprunte ensuite le Chemin de Champaloux, un beau chemin de terre courant à mi-pente à travers bois.
Pendant près de deux kilomètres, il ondule le long du flanc de la colline et monte même assez sévèrement à deux reprises, en faisant la première "difficulté" de la journée. Voilà en tout cas un passage très agréable !
Puis il redescend dans la vallée.
Nous aurions peut-être pu continuer jusqu'à Lods par l'ancienne voie ferrée mais le tronçon entre les deux villages comporte deux tunnels.
Le premier, au Raffoy, est occupé par l'entreprise Grillot qui y entrepose pour affinage ses meules de Comté depuis plus de quarante ans. Un sentier le contourne bien mais, d'après un habitant du coin rencontré, il serait difficilement praticable.
Si la vidéo ne démarre pas sur votre appareil, vous pouvez la retrouver sur cette page :
Quant au deuxième tunnel, on peut en deviner l'entrée au moment où notre chemin la surplombe. Un petit sentier permet même d'aller y jeter un œil. Mais ne vous donnez pas la peine d'essayer de le traverser, il s'est effondré en son milieu.
À la sortie du bois, au Champaloux, on retrouve la Loue. L'occasion d'une rencontre avec un pêcheur.
Et autant dire qu'il n'est pas content, notre pêcheur ! La vallée de la Loue était autrefois connue des amateurs de pêche à la truite du monde entier. On venait ici des Etats-Unis, du Canada, d'Amérique latine et d'ailleurs pour enfiler ses cuissardes et taquiner le goujon.
Mais voilà, en quinze ans, la rivière aurait perdu 80 % de sa population halieutique à cause de la pollution créée par les rejets des fabricants de Comté et de Morbier. Non seulement par les fabricants mais aussi, et peut-être surtout, par les agriculteurs qui n'hésitent pas à épandre du lisier et autres engrais sur leurs pâturages pour augmenter les rendements de leurs vaches laitières.
Autant dire que ce n'est pas seulement la Loue qui est touchée par ce problème mais toutes les rivières de Franche-Comté. En attendant, les pêcheurs étrangers ont déserté les lieux et c'est toute l'économie du tourisme dans la région qui est touchée. Sans compter la santé des habitants...
Un peu plus loin, à Moulins Neufs, c'est un autre pan de l'activité économique de la région que nous pouvons voir.
Ici, le bois ne manque pas et la Loue a un débit rapide et abondant. Deux critères qui expliquent le nombre de scieries installées en bord de rivière, d'Ornans jusqu'ici.
Les vieux moulins étaient d'abord équipés de roues à aubes pendantes qui pouvaient s'adapter au niveau de la rivière. Roues à aubes qui par la suite furent remplacées par des turbines.
En face de Moulins Neufs se trouvait la gare de Lods, terminus de la ligne.
Ce sont les industriels qui sont à l'initiative de sa construction, fin du XIXè siècle. Si on compte en effet de nombreuses scieries et minoteries qui doivent pouvoir facilement exporter leur production, on trouve aussi dans la vallée des industries métallurgiques produisant fil de fer, clous et pièces diverses nécessitant charbon de Lorraine et billettes de fer.
Reconnus d'utilité publique, les 25 kilomètres de ligne sont construits dès la fin 1881 pour être mis en service le 4 août 1884. Outre le trafic marchandises, on transporte aussi touristes et voyageurs.
Mais, sans doute au nom de la sacro-sainte rentabilité, il est mis fin au trafic voyageurs le 22 mai 1939 et à celui des marchandises le 11 juin 1956. Totalement fermée depuis 1988, elle est déclassée en 1995.
Depuis la gare jusqu'au centre de Lods, les autorités ont imaginé un parcours ethnologique qui, au travers de grands panneaux, nous en apprend énormément sur le passé industriel de la vallée.
C'est diablement intéressant et voilà une belle manière d'entretenir à la fois le corps et l'esprit. J'applaudis !
Six cents mètres après la gare, un bâtiment nous interpelle par sa stature imposante. Construit vers 1800, il abritait les bureaux de la compagnie des Forges de Lods et la famille de Madame Fleur, sa directrice.
C'est elle aussi qui fit construire le petit oratoire encore visible à proximité.
Au milieu du XVIIIè siècle, les Forges produisaient des machines agricoles. En 1772, on commence à y produire du fil de fer. Jusque 1853, la production augmente pour atteindre 804 tonnes de fer traité par an (fil, clous et barres).
Mais ici les fourneaux sont chauffés au bois, un bois qu'il est de plus en plus difficile de se procurer. Les Forges subissent la concurrence d'installations plus modernes fonctionnant à la houille. Pour ne rien arranger, un traité de libre-échange est signé avec l'Angleterre en 1860. Les affaires périclitent et le laminoir ferme ses portes en 1942.
Passés le Château des Forges, Lods commence à se dévoiler. On se rend bien vite compte que ce petit village d'un peu plus de deux cents habitants mérite amplement ses labels de "Plus beau village de France" et de "Cité de caractère de Bourgogne-Franche-Comté" !
L'arche que nous pouvons apercevoir accrochée à la rive gauche de la Loue est un vestige de l'ancien pont datant du XVIè siècle. Elle fait partie de la longue liste des édifices de la commune inscrits à l'inventaire général du patrimoine culturel.
Et sur la quatrième photo ci-dessous, à droite en arrière-plan, on peut observer le château, maison-forte du XIVè siècle, inscrit aux Monuments Historiques depuis 2003.
La visite du village commence sur l'autre rive. Une fois le pont traversé, nous grimpons par la rue de Reine.
Le haut de la rue n'est bordé de maisons que sur la droite, dégageant un grand espace à l'opposé pour nous offrir un somptueux point de vue sur la Loue, le quartier des Forges et le massif au loin.
La rue de Reine débouche sur une petite place qui était autrefois le centre du village mais aussi le quartier des vignerons, à une époque où la route de Besançon, le long de la Loue, n'existait pas encore.
Nous continuons tout droit par la rue de l'Église pour atteindre... l'église Saint-Théodule. Construite de 1733 à 1736 pour la somme de 1.800 francs (!), elle est alors financée par souscription à laquelle contribuent quatorze personnes !
Son intérieur est richement décoré de fresques peintes sur les tympans et les voûtes à poinçons. Elle mériterait un coup de jeune mais j'aime beaucoup cette église.
Nous quittons le village en longeant l'église, par la rue du Château. Ce dernier n'est toutefois pas visible d'ici. Il faudrait descendre un petit sentier alors que la Via Francigena continue à la courbe de niveau à flanc de colline.
Enfin, ça ne dure qu'un court moment après l'embranchement parce que quelques dizaines de mètres plus loin, ça grimpe franchement ! C'est toutefois la dernière véritable difficulté de la journée.
Alors que je trouve comme prétexte de prendre quelques photos du versant sud de la vallée de la Loue pour récupérer mon souffle, je suis rejoint par un monsieur âgé.
Né en 1939 dans le village, retraité à 55 ans des PTT - Petit Travail Tranquille, comme il l'avoue lui-même -, c'est sûr qu'il aura bien profité de sa retraite. Tous les jours, il fait sa petite balade d'une heure avec sa vieille veste matelassée comme mangée par les mites.
Ce versant, face à nous, il le connaît comme sa poche. Ses parents y étaient propriétaires de plusieurs hectares et il en a arpenté tous les chemins, dont celui tout là-haut, au-dessus de la barre rocheuse.
- "Comment se prononce le nom du village ?", je lui demande, me doutant qu'on ne prononce ni le "d" ni le "s".
- "En franc-comtois, on prononce Loooooo", me répond-t-il, en insistant longuement sur le "o". "Oui, c'est ça, Loooooo !".
Nous passons une bonne demi-heure à discuter de la vie, de sa vie, en Franche-Comté. Un moment plein d'émotions... J'ai le temps, c'est ma voiture et non le bus qui m'attend à l'arrivée... Un de ces moments forts qui font la beauté de mon périple sur la Via Francigena...
Après un léger faux-plat descendant, avec pour horizon les nombreuses barrières calcaires du plateau du Jura, le chemin rejoint la D 244E reliant Lods à Mouthier-Haute-Pierre. De cet embranchement, celle-ci descend d'abord avant de remonter fortement...
Au sommet de la côte, une croix attire d'abord mon attention, avant que je ne remarque la statue d'une vierge. Il s'agit de la vierge de Sainte-Foy.
La statue a été érigée ici sur les ruines d'une chapelle construite en 1571. Mais rien n'indique quand la statue elle-même fut construite. Pour la fête de l'épiphanie, les habitants du village viennent y allumer des torches appelées "failles". Une tradition qui remonte au Moyen-Âge !
Le monticule sur lequel trône la statue offre un magnifique panorama sur Mouthier-Haute-Pierre, la vallée de la Loue et les environs. Ça me donne vraiment envie d'être déjà demain quand il faudra remonter la rivière jusqu'à sa source !
Il ne reste plus qu'à se laisser descendre vers Mouthier-Haute-Pierre...
Le charpentier et le couvreur se sont fait plaisir ! Beau travail !
Mouthier-Haute-Pierre possède aussi le label "Cité de caractère de Bourgogne-Franche-Comté" et c'est amplement mérité. Car la cité n'en manque pas, à l'instar du quartier de la Doye et ses anciennes maisons vigneronnes.
Anciennes maisons car les vignes ont disparu à cause du phylloxera à la fin du XIXè siècle. Elles ont été remplacées par des cerisaies dont les fruits, de petites cerises noires de la variété "marsotte", sont destinés à la fabrication artisanale du kirsch. Un breuvage d'une telle qualité que Mouthier-Haute-Pierre serait la capitale du kirsch !
Le périple du jour se termine à l'église Saint-Laurent. Elle est construite en limite du cimetière du prieuré en 1390. Elle est ensuite agrandie entre 1550 et 1581.
Bien que sa date de construction ne soit pas connue avec précision, le prieuré daterait du début du VIIè siècle. Il serait d'ailleurs antérieur à la construction du village.
Fin du IXè siècle, il est présenté comme un des plus importants de Bourgogne. En 1120, il est rattaché à l'abbaye de Cluny et ferme ses portes en 1793 lorsqu'il est vendu comme bien national.
Aujourd'hui, ses vestiges, dont le cloître, sont propriété privée et ne se visitent pas.
Voilà, il ne me reste plus qu'à récupérer ma voiture et à gagner mon nouvel hébergement. Je passe les trois prochaines nuits chez Patricia, à Pontarlier.
Tous les qualificatifs les plus dithyrambiques peuvent être utilisés pour qualifier cette étape de la Via Francigena !
À l'exception du tronçon sur l'ancienne voie ferrée à hauteur de Montgesoye - et encore, c'est parce qu'à la longue je deviens de plus en plus exigeant - voilà un itinéraire enchanteur.
On évolue en permanence dans un cadre magnifique et les villages traversés possèdent un caractère et un patrimoine d'une richesse encore rarement rencontrés depuis mon départ de Calais. Je prends le risque de faire des jaloux mais cette vallée de la Loue, c'est vraiment le top du top ! À ce stade de la Via Francigena, bien sûr.
Vous souhaitez parcourir cette étape de la Via Francigena ? Vous trouverez ci-dessous la trace GPX :