5 Septembre 2022
La dernière étape de la traversée d'un pays est toujours un peu spéciale. C'est comme si on changeait de chapitre d'un livre qu'on est en train d'écrire, chaque étape en étant une page.
Si on avait clôturé le chapitre français de fort belle manière avec l'étape Pontarlier - Sainte-Croix, terminer ici par l'ascension jusqu'au col du Grand Saint-Bernard va sans aucun doute encore élever le niveau.
Justement, ces 12 derniers kilomètres du chapitre suisse proposent un dénivelé positif de près de 1.000 mètres. Quand je parle d'élever le niveau !
Départ de la Mairie de Bourg-Saint-Pierre, direction plein sud par la rue du Bourg.
Lors de la deuxième campagne d'Italie, c'est ici, en mai 1800, que Napoléon, à la tête de l'Armée française de réserve, établit son Quartier-Général.
L'église Saint-Pierre date de 1739 et est célèbre pour son clocher millénaire qui aurait été construit entre 1011 et 1019 et est reconnu comme étant le plus vieux du Valais.
A son pied, nous pouvons observer une colonne militaire érigée entre 306 et 367, pendant l'époque romaine. Elle porte la mention "A l'empereur César Valère Constantin".
Nous quittons le village par un pont surplombant le torrent du Valsorey.
Nous remontons alors le val d'Entremont. D'abord sur la rive droite, puis sur la rive gauche. A ce moment, sous le chemin, passe l'oléoduc du Rhône dont je vous ai parlé lors de l'étape du 31 août entre Massongex et Martigny.
Mais ce qui nous captive le plus, c'est bien sûr le paysage.
Surtout quand on regarde derrière soi vers Bourg-Saint-Pierre !
Au bout de deux kilomètres, au lieu-dit Brettemor, nous découvrons deux bâtiments en pierre...
... et un énorme barrage qui ferme la vallée ! Le barrage des Toules...
1.200 mètres plus loin, et 100 mètres plus haut, nous atteignons le barrage. Le cadre est impressionnant !
Un dernier coup d'œil vers cette superbe partie du val d'Entremont que nous venons d'emprunter avant de continuer le long du lac...
Tant qu'à faire, puisqu'il est midi et que des bancs sont à disposition des randonneurs, pourquoi ne pas casser la croûte ici ?
Je serai même accompagné d'un vététiste Allemand installé en Suisse qui, avec son Combi VW, transporte d'une étape de la Via Francigena à l'autre un groupe de six randonneurs. Ils n'ont qu'une petite demi-heure d'avance sur moi, peut-être aurai-je l'occasion de les rattraper...
Repus, nous reprenons chacun notre chemin. Quel émerveillement à la vue de ce lac et de son écrin !
Tiens, mais que vois-je donc là au loin sur le lac ? Une ferme à saumons ?
Construit de 1955 à 1964, le barrage des Toules est un barrage hydroélectrique. Il mesure 86 mètres de haut pour 460 de large. Il fut le premier barrage de type voûte-coupole à avoir été dressé en Suisse.
Trois rivières et neuf glaciers alimentent son lac.
Pour augmenter sa résistance aux crues extrêmes et mieux faire face aux risques sismiques, des travaux de renforcement furent menés sur le barrage de 2008 à 2011.
Ce que je prenais pour une ferme à saumons n'est en fait rien d'autre qu'une centrale solaire flottante. Installée en 2019, il s'agissait alors d'une première mondiale en haute altitude.
Constituée de 2.240 m² de panneaux solaires, elle produit 800.000 KWh par an, alimentant 227 ménages.
Après avoir longé le lac sur deux kilomètres, on entre dans un nouveau décor encore plus fabuleux que ce que nous avions pu voir jusqu'ici !
Progressivement la végétation haute disparaît pour ne plus laisser place qu'à la pelouse alpine et à quelques arbrisseaux. La montagne se teinte de multiples couleurs !
C'est plus flagrant lorsque nous laissons derrière nous l'entrée du tunnel du Grand Saint-Bernard. Il faut dire que depuis le lac, nous avons encore grimpé de 200 mètres...
Imaginez-vous que l'armée de Napoléon, composée de 40.000 hommes, 5.000 cavaliers, 50 canons et huit obusiers, a emprunté ce chemin encore enneigé entre le 15 et le 21 mai 1800.
Mais depuis Bourg-Saint-Pierre, à cause de l'état du chemin, les canons ne peuvent plus être tractés. Qu'à cela ne tienne, ils seront donc portés par les hommes ! 40 hommes par canon !!
Napoléon en personne franchit le col le 20 mai et, le 14 juin, il vainc les Autrichiens à Marengo !
Oh ! Mais que vois-je !? Une marmotte !
Eh bien alors, coquine, on n'est pas en train d'emballer le chocolat !?
Après avoir quelque temps joué à cache-cache avec la marmotte, je reprends l'ascension en direction de l'Hospitalet.
A hauteur de la structure en béton, que je pense être une bouche d'aération du tunnel du Grand Saint-Bernard qui passe sous nos pieds, il nous reste exactement 2,5 kilomètres jusque l'arrivée. Je serai à temps pour le dîner...
Après l'Hospitalet, le chemin escalade une butte avant de redescendre dans la Comba Martchanda. C'est là que j'aperçois les six randonneurs suisses-allemands...
Je finis par les rejoindre une quinzaine de minutes plus tard, au Plan des Dames.
Il s'agit en fait de six membres d'une même famille qui ont projeté de faire tout le parcours suisse de la Via Francigena et de descendre jusqu'Aoste, en Italie. Assurément un beau périple.
Nous nous remettons en route, chacun à son rythme.
Après avoir croisé quelques vaches et traversé une passerelle jetée au-dessus de la Dranse d'Entremont, nous entrons dans la Combe des Morts.
Si j'avais pu penser que son nom était dû à la mort éventuelle de soldats de Napoléon lors de l'ascension du col, il n'en est en fait rien.
Il viendrait des invasions maures qui se produisirent dans le sud de l'Europe à la fin du Moyen-Âge. On sait ainsi que le Grand Saint-Bernard fut la cible de razzias de cavaliers sarrazins dans la deuxième moitié du Xè siècle.
Au fil du temps, le nom aurait changé de Combe des Maures à Combe des Morts.
Bientôt apparaît l'hospice du Grand Saint-Bernard (*). Un dernier "mur" à escalader et nous voilà arrivés au terme de cette étape et du parcours de la Via Francigena en Suisse.
Demain s'ouvre un nouveau chapitre !
(*) En fin d'article, je vous fais part de mon expérience à l'hospice du Grand Saint-Bernard.
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Si vous voulez revivre cette étape en vidéo 3D, c'est ici :
Appréciation du parcours :
Comment qualifier cette étape ? Elle mérite tant de superlatifs qu'il est finalement difficile d'en retenir l'un ou l'autre !
Sur douze kilomètres, la Via Francigena nous offre différents visages, tous autant captivants l'un que l'autre. Tellement qu'on ne voit ni les kilomètres passer, ni le relief s'élever.
En prenant son temps, cette étape doit être à la portée de toute personne valide. On aurait tort de s'en priver !
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Comment rejoindre cette étape ?
Outre la voiture, le bus de la société TMR dessert Bourg-Saint-Pierre et le col du Grand Saint-Bernard.
En ce qui me concerne, j'ai quitté ce matin mon logement à Saint-Maurice et je dormirai cette nuit à l'hospice du Grand Saint-Bernard, situé sur le col. J'y ai garé ma voiture et je suis redescendu à la Mairie de Bourg-Saint-Pierre en bus TMR. J'ai donc tout le temps devant moi pour faire l'ascension. Tant que j'arrive à temps pour le dîner...
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Vous souhaitez parcourir cette étape de la Via Francigena ? Vous trouverez ci-dessous la trace GPX de l'itinéraire tel que je l'ai suivi.
!!! Attention, nous sommes en montagne et le GPS peut perdre en précision. C'est pourquoi vous constaterez sans doute que la trace GPX ne correspond pas toujours avec le tracé des chemins sur la carte.
Soyez prudents si vous effectuez le parcours. Ne vous aventurez pas là où vous auriez un doute et suivez toujours le balisage du sentier !!!
L'hospice du Grand Saint-Bernard
Tant qu'à arriver au col du Grand-Saint-Bernard, autant y rester pour passer la nuit. Alors, pourquoi ne pas tenter l'expérience à l'hospice du Grand-Saint-Bernard ?
Un premier hospice est élevé au IXè siècle mais il est situé alors au pied du col, à Bourg-Saint-Pierre. Il est détruit vers 940 par les Sarrasins qui occupent la région jusque Saint-Maurice.
Il faut noter qu'à l'époque, le col s'appelle Mont-Joux. On peut encore voir cette appellation sur le pignon du café-restaurant en contrebas de l'hospice.
L'hospice actuel date des environs de 1050 quand saint Bernard d'Aoste décide de mettre un terme aux attaques sur les voyageurs passant par le col. Le bâtiment fut toutefois doté d'un étage supplémentaire en 1823.
La congrégation des chanoines réguliers du Grand Saint-Bernard gère l'établissement.
A côté de l'hospice se trouvent aussi un musée qui retrace l'histoire des lieux et le chenil où sont élevés les célèbres chiens Saint-Bernard.
C'est en effet ici que fut créée la race dans les années 1660-1670. Avant de devenir des chiens de secours en montagne, ils étaient dressés comme chiens de garde et de défense pour protéger l'hospice.
Malheureusement, à mon passage, tant le musée que le chenil étaient fermés.
En 1979, le cénotaphe du général Desaix est installé dans l'escalier entre le rez-de-chaussée et l'actuelle bibliothèque.
Tombé à la bataille de Marengo le 14 juin 1800 et même s'il n'a pas franchi le col avec l'armée de réserve, le général Desaix est enterré au col du Grand Saint-Bernard sur ordre de Napoléon. Son corps repose anonymement sous l'autel de la chapelle.
Les voyageurs et pèlerins sont hébergés dans de grandes chambres communes. C'est très propre et confortable. Chaque chambre dispose de son petit coin toilette avec un lavabo. Pour les toilettes et les douches, il faut aller au bout du couloir.
En ce qui me concerne, je partage les lieux avec un jeune couple français de Chambéry. Eleveurs de chèvres, la montagne est leur domaine.
Les repas se prennent au réfectoire. Si nous pouvons choisir nos places à table, les tables sont toutefois attribuées. C'est ainsi qu'au dîner je retrouve mes amis suisses-allemands, une Danoise, une jeune Allemande qui a entrepris seule le tour du Grand Saint-Bernard et un Néerlandais loufoque mais très attachant. L'ambiance est assurée !
Je vous dirai demain si la nuit fut reposante mais déjà l'expérience est très positive.
Ah oui, espérons que vous ne deviez pas les utiliser. Pour sortir du bâtiment par les issues de secours, ce sera à la corde à nœuds !
Bonne nuit !