31 août 2022 - La Via Francigena de Massongex à Martigny

Les orages se sont miraculeusement éloignés durant la nuit et je retrouve ce mercredi matin un ciel d'un bleu éclatant.

Cette troisième étape de la semaine, d'une vingtaine de kilomètres entre Massongex à Martigny, est la dernière dans la vallée du Rhône. La seule difficulté est une grosse bosse à mi-parcours.

L'administration communale étant fermée hier à mon arrivée à Massongex, j'y fais vite un saut ce matin afin d'y faire tamponner ma credencial pour l'étape d'hier.

Tout est dit, mettons-nous en route.

Au départ de la gare de Massongex, la Via Francigena suit la ligne de chemin de fer sur une petite route asphaltée pendant un peu plus de deux kilomètres.

Au fur et à mesure de la progression, la vallée se rétrécit. Le chemin se retrouve bientôt coincé entre la falaise et la voie ferrée...

Au bout de deux kilomètres et demi, nous atteignons le château de Saint-Maurice, aussi appelé château des Gouverneurs.

Erigé dans le défilé de Saint-Maurice entre une paroi rocheuse et le Rhône, il constitue un véritable verrou dans la vallée depuis le début du XVIè siècle.

Toutefois, endommagé dans l'incendie qui détruit Saint-Maurice en 1693, il doit être reconstruit. Son apparence actuelle date donc de cette époque.

En 1831, des fortifications supplémentaires, dont la tour Dufour située plus haut sur la paroi rocheuse, et des batteries d'artillerie viennent renforcer le rôle défensif du château.

Dans les années 1940, on y ajoute d'autres fortifications creusées dans la roche. Il en est ainsi du fort de Cindey. Doté de deux canons de 105 mm, surplombant le château, il reste opérationnel jusqu'en 1994 !

Le château des Gouverneurs est lieu d'exposition depuis 2005.

Sur cette même falaise, au-dessus du château, se trouve l'entrée des grottes aux fées.

L'exploration de ces grottes, que je n'ai pas visitées, est pleine de péripéties intéressantes à découvrir alors pour ne pas faire de cet article une encyclopédie, je vous renvoie vers la page Wikipedia.

Plutôt que de nous imposer la route principale jusqu'à l'abbaye de Saint-Maurice, la Via Francigena nous fait judicieusement descendre dans le quartier situé en contrebas.

C'est une première bonne occasion de découvrir cette charmante ville de Saint-Maurice, habitée depuis l'Antiquité.

L'abbaye est un incontournable de Saint-Maurice.

Fondée en 515 par le roi burgonde saint Sigismond, elle est le plus ancien établissement monastique de l'Occident chrétien toujours en activité et ce de façon ininterrompue.

L'abbaye fut érigée à l'emplacement d'un sanctuaire abritant les reliques de Maurice d'Agaune, chef de la légion thébaine, une légion romaine dont l'existence n'est pas attestée, constituée de soldats pour la plupart convertis au christianisme.

Selon la légende toujours, celle-ci aurait été exterminée dans la région sur ordre de l'empereur romain Maximien entre 285 et 306 sous prétexte qu'ils auraient refusé de tuer des chrétiens.

En attendant, que cette légion ait existé ou pas, nous voilà en présence d'un édifice absolument remarquable, qui lui est bien réel !

Avant de me remettre en route, je fais tamponner ma credencial à l'accueil de l'abbaye.

Face à elle, commence le chemin des stèles. Composé de cinq stèles représentant chacune un des cinq grands saints ayant marqué l'histoire de l'abbaye, il suit le parcours de la Via Francigena jusqu'à la chapelle des Martyrs à Vérolliez.

La première est naturellement consacrée à Saint-Sigismond, fondateur de l'abbaye en 515.

La première partie du chemin des stèles nous emmène à travers Saint-Maurice par la Grand Rue...

Puis, après avoir longé la gare où je prends le train chaque matin pour rejoindre le départ de mes étapes, nous traversons la ligne de chemin de fer.

Nous quittons Saint-Maurice par l'avenue de Vérolliez, une artère sans (grand) intérêt.

Après la traversée du Mauvoisin, un affluent du Rhône, nous arrivons à la stèle suivante. Damned !! C'est déjà la quatrième ! Bon, alors c'est simple, j'en ai loupé deux...

Dressée sur un talus au sud du carrefour, celle-ci est dédiée à Saint-Maurice, le chef de la légion thébaine martyrisé à Vérolliez.

Quatre cents mètres plus loin, nous arrivons à Vérolliez. Le grand bâtiment que nous apercevons en premier héberge le Centre Enfance et Famille, une clinique familiale multidisciplinaire.

Mais l'intérêt du lieu réside plutôt dans la présence de la chapelle des Martyrs, située sur la gauche de la plaine des Martyrs.

Selon la légende, le martyre de Saint-Maurice et de ses compagnons de la légion thébaine se serait déroulé à l'emplacement de la chapelle. Celle que nous pouvons voir aujourd'hui date de 1746 mais des fouilles ont démontré qu'une chapelle existait déjà ici avant l'an 1000.

Face à la chapelle, se dresse la cinquième stèle représentant le Christ victorieux chevauchant le cheval blanc de l'Apocalypse.

Laissons derrière nous le chemin des stèles pour descendre vers le quartier résidentiel des Emonets par un petit sentier serpentant entre les prairies.

C'est là, à l'entrée du hameau, que nous attaquons la seule difficulté de la journée. Il s'agit en réalité du cône de déjection du Saint-Barthélémy, un torrent qui prend sa source au pied des Dents du Midi. J'en reparlerai plus loin.

A la sortie sud, nous traversons une plaine parsemée d'obstacles. Il s'agit en fait de la place de tir de Vérolliez.

Utilisée toute l'année par l'armée suisse pour la formation professionnelle, mais aussi par l'Académie de police de Savatan, elle est, comme beaucoup de terrains militaires, un véritable refuge pour la faune et la flore. On y retrouve ainsi du Tarier pâtre, du Bruant jaune, et du Narcisse à fleurs rayonnantes.

C'est bon, je n'ai pas dû ramper pour éviter les balles !

Quittant la place de tir, nous entrons dans une forêt de pins sylvestres par un chemin rectiligne. Cool, nous voilà enfin sur un chemin non revêtu ! Oui, mais nous évoluons en permanence sous une ligne à haute tension...

Et puis, savez-vous pourquoi ce chemin est rectiligne ? Parce que sous nos pieds passe l'oléoduc du Rhône !

Ce pipeline européen de 257 km de long part de Lombardie, traverse le Val d'Aoste, entre en Suisse par le col du Grand Saint-Bernard et termine sa course à la raffinerie de Collombey-Muraz, à côté d'Aigle.

Au sommet de la côte, nous atteignons le torrent de Saint-Barthélemy. Curieux de trouver un cours d'eau sur un sommet, vous ne trouvez pas ?

En fait, le torrent court sur son cône de déjection qui fut alimenté à travers les siècles par les apports naturels en limon et en roches mais aussi à la suite des différents accidents géologiques qui survinrent ici.

Ainsi, le 9 octobre 1635, le village d'Evionnaz est enseveli par les boues et roches emmenées par le torrent au point que le Rhône est coupé. Un lac se crée, inondant la vallée jusqu'à Riddes, vingt-deux kilomètres plus haut !

Le même événement se répète en 1835 et 1926 sans que le Rhône ne soit toutefois touché. Rebelote en 1930 ! Cette fois, cinq bassins de retenue seront construits sur le cours du torrent. Ils sont tous à l'heure actuelle remplis de limon et de pierres !

Au moment de traverser le torrent sur une passerelle en bois, je vois un homme en difficulté avec ses ânes qui refusent obstinément de la traverser. Quand on vous dit que c'est têtu, ces bêtes-là !

Peut-être qu'une pause les calmera (les ânes), alors faisons connaissance avec cet attelage sympathique.

Lui se prénomme Stéphane. C'est un ancien carreleur devenu boulanger. Un boulanger plutôt réputé - il a fait l'objet d'un reportage de la télévision suisse ! - pour son pain du côté de Sion, à Vex plus précisément, d'où il vient avec ses ânes d'ailleurs. Si vous séjournez dans la région, la boulangerie se nomme "Le pain que j'aime".

À sa droite, l'âne gris se nomme Pivoine tandis que l'autre, c'est Ayascha. Abandonnés, confiés à un refuge, Stéphane les a adoptés tous les deux et a même réduit son activité professionnelle pour passer du temps avec eux.

En tout cas, j'aurai passé un bon moment en leur compagnie.

Continuons vers Evionnaz...

Evionnaz est une petite bourgade proprette et calme. Tellement calme que je n'y aurai croisé personne. Mais bon, à 14h30, ça doit être l'heure de la sieste...

À la sortie sud d'Evionnaz, nous avons la surprise de découvrir des "dents de dragon" ! Elles font partie d'un ouvrage antichar construit en 1940 devant entraver la progression d'un ennemi venant du col du Grand Saint-Bernard.

Le système est complété de bunkers équipés de canons et de mitrailleuses creusés et dissimulés dans la roche. Serez-vous capables d'en déceler l'un ou l'autre ?

En 2003, avec l'accord de l'armée alors propriétaire des lieux, des arbustes ont été plantés tout le long de la ligne de défense pour y accueillir les oiseaux et petits animaux.

Pro Natura, la plus ancienne organisation de protection de la nature en Suisse, en est propriétaire depuis 2013 et en finance l'entretien.

L'obstacle antichar franchi, nous bénéficions d'un beau chemin longeant le flanc de la montagne.

Malheureusement, dans cette portion plutôt étroite de la vallée, nous ne pouvons échapper par moments à la présence d'entreprises gâchant le paysage.

Mais ça n'empêche pas les belles rencontres.

Bonjour vous ! Mais oui, que vous êtes beaux ! Mais si, allons !

Nous entrons ensuite sur le territoire de Vernayaz par la route de la Cascade.

Il ne peut y avoir pire entrée ! Nous n'avons d'autre choix que de longer la route cantonale jouxtant la ligne de chemin de fer qui elle-même longe l'autoroute !

Certes, cela ne dure que sept cents mètres, mais quand même...

Après un judicieux détour par le hameau de Miéville, apparaît la cascade de Pissevache​​​​. Haute de 116 mètres, elle est alimentée par les eaux de la Salanfe.

La cascade était beaucoup plus impressionnante avant 1953, quand fut mis en service un barrage sur le cours d'eau. Une partie de l'eau est ainsi récupérée et envoyée par une conduite forcée à une centrale hydroélectrique, ici à Miéville.

Au départ de la cascade, nous profitons de beaux passages le long de la montagne, jusqu'à retrouver la route cantonale au bout de deux kilomètres.

La gare de Vernayaz MC est située sur la ligne du Mont-Blanc Express qui relie Martigny à Saint-Gervais, en France, en passant par Chamonix. À noter que dans sa partie suisse, la ligne s'appelle Chemin de fer Martigny-Châtelard (MC).

On trouve ici le dépôt de la compagnie, les ateliers de maintenance, le centre de gestion du trafic et les services techniques.

Pour tous les détails sur cette ligne mise en service en 1906, je vous renvoie vers la page dédiée sur Wikipédia.

De la gare de Vernayaz MC, contrairement à ce qu'on pourrait craindre, on ne suit pas la route cantonale mais on descend en contrebas pour emprunter un petit sentier.

Celui-ci s'écarte progressivement pour longer le pied de la montagne. C'est à mon sens une des plus belles portions de l'étape d'aujourd'hui.

Je retrouve le plaisir de la randonnée pendant trois kilomètres.

À hauteur de l'usine hydroélectrique du Gilloud, ça se gâte de nouveau un peu. Beaucoup même quand après il faut suivre le chemin du Gilloud où aucun accotement stable n'est prévu pour les marcheurs.

Mais bon, allez, ça dure à peine quatre cents mètres et la route n'est pas très fréquentée.

L'arrivée approche. Nous entrons dans Martigny par le quartier de la Bâtiaz dominé par son château datant approximativement du XIIIè siècle.

Mais ce qu'on ne peut rater, c'est le pont sur la Dranse, le dernier pont arqué en bois dans le canton du Valais à autoriser le passage des véhicules.

Si le pont actuel date de 1829, un pont est déjà mentionné ici en 1349, situé toutefois cent mètres en amont. Mais il est emporté par une crue en 1818.

Puis je termine le parcours par une petite visite de Martigny, une ville coquette, la deuxième plus grande du Valais après Sion, qui me fait passer par l'église Notre-Dame de la Visitation.

Elevée au XVIIè siècle, cette église de style baroque possède, avec ses cinquante mètres, le clocher le plus haut du Valais.

Je reviens à la Place Centrale pour mettre un terme à cette étape.

Pour rentrer à mon hébergement à côté de Saint-Maurice, je prends le train à la gare de Martigny.

**************

Si vous voulez revivre cette étape en vidéo 3D, c'est ici.

Appréciation du parcours :

Vous l'aurez sans doute compris à la lecture de cet article, je n'ai pas trop apprécié le parcours de cette étape.

S'il y a de très belles portions d'itinéraire, particulièrement dans le dernier tiers, l'étroitesse de la vallée nous met trop souvent au contact des horreurs de la civilisation moderne tels qu'autoroute, lignes haute-tension, industries...

A contrario, c'est peut-être une des étapes de la Via Francigena, jusqu'ici, qui propose le plus de curiosités tant culturelles que naturelles. Je pense au château et à l'abbaye de Saint-Maurice, à la légende de la légion thébaine, au pont de bois de Martigny, au cône de déjection du Saint-Barthélémy et à la cascade de Pissevache.

Bref, certainement pas la plus belle des étapes parcourues depuis mon départ de Calais, mais pas la moins intéressante non plus.

**************

Vous souhaitez parcourir cette étape de la Via Francigena ? Vous trouverez ci-dessous la trace GPX de l'itinéraire tel que je l'ai suivi :