30 Août 2022
L'incertitude règne, ce mardi. La question n'est pas de savoir s'il va pleuvoir, mais quand il va pleuvoir. En effet, le temps est à l'orage et ce sont hélas les prévisions pour les prochains jours.
Quoiqu'il en soit, maintenant que je suis sur place, il faut bien avancer. C'est ainsi un peu plus de 21 kilomètres qui m'attendent aujourd'hui, entre Roche et Massongex (se prononce Massongè).
Le profil de l'étape n'est en rien similaire à celui des jours précédents puisque nous avons ici affaire à ce qui ressemble à un... comment dire... un chameau à trois bosses ? Ben quoi ? On a déjà bien vu un mouton à cinq pattes, non ? Avec un dénivelé positif de 543 mètres et des pentes à plus de 10, voire 15%, c'est du sérieux.
De la gare de Roche, nous suivons une petite route asphaltée longeant la ligne de chemin de fer en direction de Versvey, au sud-est. Marchant à travers la campagne, on a presque oublié la zone industrielle de la veille.
À Versvey, nous abandonnons la voie ferrée sur quelques centaines de mètres pour traverser ce hameau d'Yvorne.
Signe d'un monde qui part en c... cacahuètes, l'horloge de ce bâtiment communal de Versvey affiche 13h21 alors qu'il est exactement 10h56 quand je passe devant ! Mais que reste-t-il donc de la précision suisse ?
Puis la Via Francigena revient s'appuyer sur la ligne de chemin de fer pour se diriger vers Yvorne.
Pour les passionnés, c'est l'occasion d'admirer le matériel des CFF. La Suisse est certainement un exemple à suivre en terme de transports en commun.
Après environ quatre kilomètres de marche dans la plaine, la Via Francigena prend un peu de hauteur pour gagner Yvorne. Au hameau des Rennauds, nous rencontrons les premières vignes.
Blotti dans un recoin de la vallée du Rhône, à l'abri des vents du nord, Yvorne est un joli village de vignerons. Il fait partie à juste titre de l'association des plus beaux villages de Suisse.
Outre la viticulture, on a extrait ici, jusqu'en 1921, un marbre jaspé - teinté gris, rouge et jaune parcouru de nervures noires et blanches - de grande qualité qui fut utilisé dans toute la Suisse et même jusque Lyon.
Des hauteurs d'Yvorne, nous bénéficions d'un superbe panorama sur la vallée du Rhône !
D'ailleurs, puisqu'un coin pique-nique y a été aménagé, j'en profite pour casser la croûte. Il y a pire comme environnement !
Ce ne sont pas les deux "ballerines" qui me contrediront...
Sur la première photo ci-dessous, on peut apercevoir les dents du Midi, la montagne crénelée au centre dont le plus haut des sept sommets culmine à 3.257 mètres. Cette crête de trois kilomètres de long est le symbole de la région. Les dents du Midi font partie du massif du Giffre et sont visibles depuis Montreux.
Repu, je reprends mon voyage en direction d'Aigle dans ce superbe décor à travers le vignoble.
Chef-lieu du district éponyme, la cité ancienne d'Aigle n'a pu s'étendre que vers l'ouest, bloquée qu'elle était par la montagne à l'est.
Le quartier du Bourg, centre-ville historique, apparaît ainsi décalé et ne fait pas plus de cinq cents mètres de longueur. On a donc vite fait de le traverser quand on suit la Via Francigena.
Situé au sud-est, un peu à l'écart de la ville, le quartier du Cloître s'est développé autour du prieuré Saint-Maurice d'Ainay.
De style gothique, l'église Saint-Maurice date du XVè siècle et remplace une église romane du XIIè. Elle est classée bien culturel d'importance nationale.
Mais le clou de la visite, à Aigle, c'est sans doute son château.
Situé lui aussi dans le quartier du Cloître, il date du XIIIè siècle. À l'origine, il ne s'agissait que d'une simple tour. Puis les Savoyards l'ont agrandi et fortifié. Son aspect actuel date de 1489.
De son emplacement, il surveille la vallée du Rhône.
Au cours des siècles, il change régulièrement de propriétaires et de destination. Il devient ainsi successivement caves à vin, prison (jusqu'en 1972 !), bâtiment administratif et sanitaire, hôpital, tribunal et finalement Musée de la Vigne et du Vin depuis 1971 !
C'est en suivant la Via Francigena qu'on obtient les plus belles vues du château. Le chemin est ponctué d'œuvres d'art qui vous permettront même d'en faire différents tableaux. Sublime !
Bon, je m'en voudrais quand même de ne pas vous montrer la vue dans le sens de la marche.
Et puis, il y a autre chose qui était très difficile à montrer en photo et que vous ne verrez donc pas ici. Mais le paysage est parcouru par le TPC, un train à voie métrique et à crémaillère datant de 1900.
La ligne Aigle - Leysin sillonne la vallée et présente même des pentes à 23%. Sans doute vous amuserez-vous, comme moi, à voir le train apparaître et disparaître au gré du relief. C'est époustouflant !
On perd définitivement de vue le château d'Aigle en quittant le vignoble pour la forêt au hameau de Sans Souci.
C'est à ce moment qu'on attaque la deuxième bosse du chameau. 1.600 mètres d'ascension avec des pentes à plus de 15% pour atteindre le sommet de la randonnée à mi-parcours...
En cours de route, vous aurez peut-être la chance de croiser le TPC à la gare de Verschiez mais ce sera beaucoup moins spectaculaire que plus bas dans la vallée.
Cette seconde bosse du chameau est en fait composée de deux sommets distants de 300 mètres. Les organisateurs ont eu la gentillesse d'installer un banc sur le premier. Profitons-en dès lors pour faire une petite pause.
Nous sommes là dans le Bois de la Glaivaz sur le sentier de la Provence. Celui-ci doit peut-être son nom au caractère particulier du bois, la plus grande pinède du canton de Vaud, qu'il traverse. En effet, exposé au sud et à l'activité desséchante du fœhn, le climat y est particulièrement chaud et sec.
En été, on y entend les grillons et, avec un peu de chance, on peut observer des mantes religieuses.
On y note aussi la présence d'une plante unique au monde, l'Onosma Vaudensis. Vous raconter son histoire ferait de cet article une encyclopédie alors, si la botanique vous intéresse, jetez un œil sur l'article qui suit.
Le bois de la Glaivaz, une excursion dans le passé - Persée
LE BOIS DE LA GLAIVAZ, UNE EXCURSION DANS LE PASSE Raymond Delarze Institut de botanique systématique et de géobotanique, Lausanne Sur le versant ensoleillé de la basse vallée du Rhône, le pro...
https://www.persee.fr/doc/globe_0398-3412_1994_num_134_1_1329
Du deuxième sommet, point culminant de l'étape, la vue s'ouvre soudain sur la vallée du Rhône. Quel spectacle magnifié par le ciel arborant cinquante nuances de gris ! Jouissif, oserais-je dire ?
Nous échangeons bientôt le bois pour les vignes d'Ollon. Le paysage se livre entièrement à nous, sans pudeur.
Ollon est la sixième commune la plus étendue du canton de Vaud. Elle le doit aux vingt-trois villages et hameaux qui lui sont rattachés.
La cité fut l'une des plus réfractaires à l'imposition du protestantisme en 1528, les habitants n'hésitant pas à se rendre dans le Valais voisin pour y assister à l'office catholique. Bref, la vie religieuse n'y fut pas une histoire simple.
C'est ainsi qu'on trouve ici une église réformée Saint-Victor (protestante, sur une des photos ci-dessous) et... une église Saint-Victor (catholique). Au moins, on sait à quel saint se vouer !
Sinon, j'ai appris autre chose. Cherchant à faire tamponner ma credencial, je me rends à l'hôtel de ville. Ah... voilà que dans le canton de Vaud, l'hôtel de ville n'a rien à voir avec la maison communale ! Non, c'est un véritable hôtel qui héberge les voyageurs. De ce qui m'a été dit, il en existe un dans chaque commune. Peut-être l'héritage du relais d'antan ?
Nous quittons la jolie ville d'Ollon pour continuer notre chemin vers le sud. Nous avançons sur une sorte de balcon dominant la plaine du Rhône.
Sur ce balcon, je fais connaissance avec Hierophis viridiflavus. Ce n'est pas un légionnaire romain égaré dans le temps mais tout simplement le nom latin de la couleuvre verte et jaune. Bon, celle-ci m'a l'air un tout petit peu morte...
Jetons un dernier coup d'œil sur Ollon avant de pénétrer dans la forêt en direction d'Antagnes.
Par une succession de petites routes et chemins, dont le bien nommé Sentier du Pèlerin, nous franchissons la troisième bosse du chameau.
À la sortie du bois, nous débouchons sur quelques maisons en bordure d'Antagnes.
Sans entrer dans ce hameau d'Ollon, nous descendons rapidement dans la vallée par le chemin de la Combe.
Au pied du coteau, on ne peut manquer une grosse bâtisse, sur la gauche de la route. Il s'agit de l'abbaye de Salaz.
Mais, en réalité, ce bâtiment n'abrita jamais une abbaye pas plus qu'il n'hébergea de moines ou de chanoines. C'était une dépendance de l'abbaye de Saint-Maurice qui servait de centre administratif.
Fondée en 1153, l'abbaye de Salaz régissait l'ensemble des territoires des hameaux d'Ollon. Au XVIIè siècle, son domaine s'étendait ainsi sur 687 hectares.
En 1851, l'abbaye de Saint-Maurice fut obligée de vendre le bâtiment à un fermier. Mais n'arrivant pas à développer le domaine, il dut le vendre par lots. Aujourd'hui, celui-ci ne compte plus que 27 hectares.
Pendant six cents mètres, nous suivons la route de l'Abbaye vers le sud pour rejoindre la Gryonne.
Nous aurions normalement dû franchir la Gryonne, la Via Francigena empruntant la rive gauche. Mais le pont est en réfection. Qu'à cela ne tienne, la rive droite fera tout aussi bien l'affaire.
La Gryonne est un affluent du Rhône, qui prend sa source dans le massif des Diablerets. Avant de se jeter dans le Rhône, elle franchit l'autoroute A9 sur un pont, fait plutôt rare que nous ne pourrons malheureusement pas observer puisque nous quittons la Gryonne avant.
Le cours d'eau est aussi ici la limite entre deux communes : Ollon sur sa rive droite, Bex (se dit Bè) sur sa rive gauche.
En effet, trois cents mètres avant l'autoroute, nous bifurquons à gauche pour, plus loin, traverser l'autoroute et gagner la berge du Rhône.
C'est la première fois depuis que nous sommes engagés dans sa vallée, que nous avons l'occasion non seulement de côtoyer ce fleuve mythique mais tout simplement de le voir.
Mythique car, dans la mythologie grecque, il était parfois identifié à l'Eridan, un dieu fleuve dans lequel meurt le soleil. A voir le ciel qui ne cesse de se couvrir, les Grecs avaient peut-être bien raison...
De son cours de 812 kilomètres, dont 290 en Suisse, nous n'en suivrons aujourd'hui que 2,5 kilomètres.
Et lorsque nous le traversons pour rejoindre Massongex, nous quittons le canton de Vaud pour celui du Valais.
Vous vous rappelez ma question du départ ? Quand allait-il pleuvoir ?
Eh bien, l'orage a éclaté au moment même où je mettais les pieds à la gare de Massongex, terminus de l'étape ! Si ce n'est pas de la chance...
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Si vous voulez revivre cette étape en vidéo 3D, c'est ici.
Appréciation du parcours :
Changement de décor radical pour cette étape se déroulant entièrement dans la vallée du Rhône.
On a oublié les affreuses entreprises et industries de la fin d'étape de la veille pour regoûter à la nature. Mieux que ça même, une bonne partie de la randonnée se passe sur des chemins non revêtus ! On n'avait plus connu ça depuis l'arrivée au lac Léman.
Le début et la fin sont un peu longs (entendez un peu ennuyeux) mais il y a ces paysages magnifiques qui nous entourent. (Presque) Que du bonheur !
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Vous souhaitez parcourir cette étape de la Via Francigena ? Vous trouverez ci-dessous la trace GPX de l'itinéraire tel que je l'ai suivi :