28 Septembre 2023
Continuons notre périple sur la Via Francigena vers Rome à grand pas. 28 kilomètres nous attendent aujourd'hui entre Altopascio et San Miniato, à travers la Toscane.
Et regardez ce final ! Digne d'une arrivée au sommet d'une étape du Tour de France ! Comment ça, j'exagère ? Bon, mais juste un peu alors...
Venant de la gare d'Altopascio, vous ne manquerez sans doute pas d'être interpelés par le mur d'enceinte de la ville. Fondé dans la deuxième moitié du XIè siècle, ce qui n'est alors qu'un petit village constitué autour de deux cours, d'un hôpital et d'une église a l'apparence d'une forteresse.
L'hôpital accueille les pèlerins de la Via Francigena qui, à l'époque, traversent ici une région dangereuse et insalubre à cause de la présence de nombreux marécages. Il est si important qu'y est créé l'Ordre des Chevaliers du Tau, probablement le plus ancien ordre religieux chevaleresque.
Non contents d'aider les pèlerins, les Chevaliers se chargent aussi de l'entretien des routes, des ponts, et des navires de transport. Aux XIIè et XIIIè siècles, ils s'étendent en France, Espagne, Allemagne et Angleterre.
L'ordre est dissout par Pie II en 1459 mais subsiste néanmoins jusqu'en 1588, date à laquelle il est intégré dans l'Ordre des Chevaliers de Saint Étienne par Cosme Ier de Médicis.
Mais revenons à ce mur d'enceinte. En 1773, l'hôpital ferme sur ordre du grand-duc Pietro Leopoldo de Lorraine. L'ensemble se transforme alors en château-forteresse avant de devenir une ferme. Le noyau urbain se développe, les fortifications accueillent des habitations.
Après cette très belle entrée en matière, nous quittons le centre-ville d'Altopascio par la Via Lucchese Romana jusqu'à la Zona Industriale La Galeotta en passant par le cimetière de la ville.
Au rond-point de la zone industrielle, nous quittons la province de Lucca pour celle de Pise en entrant sur le territoire de Castelfranco di Sotto.
Au rond-point, nous bifurquons plein sud sur la Via dei Vincenti. Un sentier, parallèle à la route, accueille opportunément nos pas.
Dans le premier virage, 2,5 kilomètres après le départ, le sentier prend la tangente pour continuer tout droit en direction de Villa Campanile, un hameau de Castelfranco di Sotto. Le chemin, sablonneux, est magnifique !
Nous traversons Villa Campanile rapidement. Ce hameau s'est créé à partir du XVIIIè siècle autour de la résidence de la famille Franchiosini, alors propriétaire des terres.
Puis, petit à petit, d'autres familles se sont installées autour du hameau créant une multitude de "corte", des hameaux de hameau, si je puis dire.
En chemin vers Galleno, je fais une surprenante rencontre ! En effet, Ivelize, la jeune femme dont je fais la connaissance, nous vient du Vénézuela ! Pas en droite ligne car le chemin est tortueux pour venir de là-bas, et c'est justement ça qui est remarquable.
Mais comment une Vénézuélienne connaît-elle la Via Francigena ? En fait, c'est venant en Europe en 2011 parcourir les chemins de Compostelle qu'elle en a eu vent. Je n'en apprendrai pas beaucoup plus d'elle car nous passerons finalement peu de temps ensemble. Non seulement elle marche vite mais vous connaissez aussi ma manie de m'arrêter tous les 50 mètres pour prendre des photos !
Si elle marche vite, c'est peut-être parce qu'elle tient une boutique de matériel de camping, de randonnée et de trail. Vous pouvez d'ailleurs voir ses nombreux conseils sur son compte Instagram @tearmotumorral
Bon, cela dit, comme elle fait régulièrement de petites haltes, nous jouerons à l'élastique toute la journée.
Je la retrouve d'ailleurs lorsque nous rejoignons la Via Lucchese Romana, peu avant Galleno.
Détail amusant, une cinquantaine de mètres après le carrefour, nous sommes au point de jonction de trois provinces : celle de Lucca au nord, de Pise au sud-ouest, et de Florence à l'est.
Un peu plus loin, nous obliquons à droite sur un chemin empierré pas très confortable pour la marche. Il s'agit en réalité d'un tronçon de l'ancienne chaussée romaine reliant le Val d'Arno à la région de Lucca.
Nous arrivons à Galleno, une autre particularité administrative car ce hameau appartient à la fois à la commune de Castelfranco di Sotto, en province de Pise donc, et à celle de Fucecchio qui dépend, elle, de la province de Florence !
Je n'ai pas trouvé d'information au sujet de l'église Saints-Pierre et Paul. Ouf ! diront peut-être certains...
Ivelize m'a abandonné (provisoirement sans doute) alors que je visitais l'église de Galleno, mais 600 mètres après la sortie du hameau, à l'entrée de la Riserva delle Cerbaie e del Padule di Fucecchio, j'accueille un nouveau partenaire de randonnée.
Grazziano, 59 ans, est originaire de Trieste. Ayant quitté l'école à 14 ans pour aller travailler, il est retraité depuis le début de l'année. Alors il profite de cette nouvelle situation pour arpenter les chemins. Quelle belle idée !
Ensemble, nous traversons la réserve dont la partie nord-est est occupée par le plus grand marais intérieur d'Italie. Plus de 200 espèces d'oiseaux y ont été recensées et la cigogne blanche y est revenue au printemps 2005. Un événement qui ne s'était plus produit depuis trois siècles !
Quel endroit magnifique ! Décidément, cette étape est exceptionnellement belle ! Voilà une région qui mériterait d'y consacrer un peu plus de temps.
Après plus de 3 kilomètres de traversée paradisiaque, nous débouchons sur la Via Poggio Adorno, une route provinciale qui descend dans la vallée. En tout cas dans le sens où nous l'empruntons. Un sentier la longe, permettant de nous sentir en sécurité. Enfin... Grazziano semble avoir une autre vision des choses...
Nous la suivons sur 600 mètres avant de prendre un chemin transversal qui nous conduit jusqu'à Ponte a Cappiano.
Ponte a Cappiano est un hameau de Fucecchio. Il doit son nom à la colline qui le surplombe. Celle que nous venons de descendre, oui.
Le pont est documenté depuis le début du Moyen-Âge et était géré par les Hospitaliers d'Altopascio. Sigeric en parle dans son récit, ne laissant aucun doute quant à son existence à l'époque.
Mais il fut détruit en 1325 lors du conflit entre Lucca et Florence. À sa reconstruction, on le dota d'une tour défensive et de pont-levis. Sa forme actuelle lui fut donnée dans la première moitié du XVIè siècle par Cosme Ier de Médicis.
En l'empruntant, nous franchissons le canal d'Usciana, seul émissaire des marais de Fucecchio.
J'ai perdu Grazziano, mais j'ai récupéré Ivelize. Provisoirement... Nous empruntons la digue du canal d'Usciana pendant 1,5 kilomètre.
Nous quittons alors le canal pour nous diriger vers Fucecchio en suivant le Rio di Fucecchio, asséché en ce début d'automne, à travers la plaine alluviale. Un parcours magnifique !
Le centre historique de Fucecchio se trouve sur une haute colline. Des escaliers permettent d'en atteindre le sommet, offrant par la même occasion de beaux points de vue sur la région.
L'Abbazia di San Salvatore occupe le sommet. L'abbaye initiale, construite en 1001, se trouvait à proximité de l'Arno mais fut ravagée par une crue du fleuve en 1106.
Par sécurité, les Vallombrosans, une branche des Bénédictins, reconstruisirent l'église et le couvent ici, sur le Poggio Salamartano. L'aspect actuel date toutefois des XVIè et XVIIè siècles.
Depuis 1886, le couvent est occupé par des sœurs franciscaines.
Je n'ai pas pu visiter l'abbaye mais un panneau fixé au mur permet de se faire une idée de l'intérieur de l'église.
Par contre, à gauche de l'abbaye se dresse la Collegiata di San Giovanni Battista, que j'ai pu visiter.
Construite de 1780 à 1787, la collégiale est de style néoclassique. Sa façade ne fut jamais achevée.
A droite de la collégiale, Piazza Vittorio Veneto, une grande fresque représentant Saint-Christophe orne la façade d'un palais.
A l'opposé de la place, on accède au Castello di Salamarzana, construit en 1322 par les Florentins. Enfin... Lors de mon passage, l'accès au château était interdit.
Alors que j'allais me contenter d'une photo de la Torre Grossa, surgit de nulle part Vittorio, 79 ans. Nous fraternisons directement et voilà que le gaillard m'invite... m'incite dois-je écrire... à visiter la forteresse en faisant le mur !
Comment !? Moi, faire quelque chose d'interdit !? Mais quelle mouche m'a piqué ? Bon, profitez des photos avant que les Carabinieri ne m'emmènent en prison !
Nous quittons tous les deux le château et Vittorio décide de faire un bout de chemin avec moi, jusqu'à la Poste.
Nous en profitons pour faire plus ample connaissance. Vittorio a été fabricant de chaussures pendant 40 ans et me raconte quelques anecdotes de son service militaire effectué en 1965 dans l'infanterie.
Voilà encore une belle rencontre, sur la Via Francigena. La statue ci-dessous n'est pas celle de Vittorio mais de Giuseppe Montanelli. Né ici en 1813, et décédé ici itou en 1862, il était écrivain, juriste, mais peut-être surtout homme politique.
Après la première guerre d'indépendance italienne, en 1848, il forma le premier gouvernement démocratique du Grand-Duché de Toscane, favorable à une Italie unie.
Nous quittons Fucecchio pour un parcours long de 5 kilomètres à travers la plaine alluviale de l'Arno nous emmenant à San Miniato Basso, en province de Pise.
L'itinéraire, fort agréable, est une succession de sentiers, de digues, de petites routes asphaltées et de chemins avec comme toile de fond les collines sur lesquelles San Miniato, notre destination du jour, se profile.
Nous arrivons à San Miniato Basso. On pourrait croire qu'il s'agit de l'extension moderne de San Miniato, mais pas du tout ! Le nom actuel de la ville date de 1924. Créée à la fin du Moyen-Âge, elle s'appelait alors... Pinocchio !
Nous passons à proximité de la chiesa Santi Martino e Stefano construite en 1782 avant de nous diriger vers San Miniato en longeant le Rio Pinocchio jusqu'au pied de la colline.
Il ne nous "reste plus qu'à" affronter les tout derniers kilomètres de cette étape. D'abord deux kilomètres de montée ininterrompue ou presque jusqu'au parking à l'entrée de la ville...
Puis encore 500 mètres du parking jusqu'au Prato del Duomo, l'esplanade devant la cathédrale, en passant par la Porta Topplarorum datant sans doute de la première moitié du XIIIè siècle lorsque Frédéric II de Souabe fit construire la forteresse.
La porte passée, nous découvrons la Piazza della Republicca bordée sur la droite par le Séminaire épiscopal.
À sa construction en 1650, il ne s'agissait que d'un petit logement pour douze clercs. Il fut agrandi au fil des ans, empiétant sur les boutiques qui l'entouraient, jusqu'en 1713, date à laquelle il prit l'aspect qu'on lui connaît encore aujourd'hui.
La forteresse, quant à elle, fut complètement détruite par les troupes allemandes en juillet 1944 mais rapidement reconstruite après la guerre.
L'étape prend fin à la Cattedrale di Santa Maria Assunta e di San Genesio, construite au XIIè siècle. L'intérieur est de style néo-Renaissance avec des décorations baroques datant du XIXè siècle.
L'histoire moderne de la cathédrale relève la mort dans ses murs de 55 habitants parmi ceux qui s'y étaient massivement réfugiés, le 22 juillet 1944.
Jusqu'en 2004, l'artillerie allemande était considérée comme responsable de cet incident mais des recherches l'ont finalement attribué à un tir du 337è bataillon d'artillerie de campagne américain.
Le clocher de la cathédrale est aussi appelé "Tour de Mathilde", en référence à Mathilde de Canossa qui, selon une légende non fondée serait née dans un palais adjacent.
La tour daterait du XIIè siècle et faisait en réalité partie des ouvrages défensifs de la forteresse. Ce n'est qu'en 1489 qu'elle sera reliée à la cathédrale pour en devenir le clocher.
Mais qui était Mathilde de Canossa aussi appelée Mathilde de Toscane ? L'histoire, extrêmement intéressante, de cette puissante comtesse italienne du XIè siècle est trop longue pour être écrite ici alors je vous recommande de visiter sa page sur Wikipédia. Vous découvrirez ainsi, entre autres, d'où vient l'expression "aller à Canossa".
Préférez la page en italien, beaucoup plus précise et complète.
Mathilde de Toscane - Wikipédia
Mathilde de Toscane, aussi appelée comtesse Mathilde ou Mathilde de Canossa et parfois Mathilde de Briey, née en 1045 ou 1046 à Mantoue et morte le à Bondeno di Roncore, est une princesse qui a...
Puisque la cathédrale se trouve au cœur de la forteresse, je vous invite grandement à prolonger la visite avec la Torre Federico II à laquelle on accède au bout d'une volée d'escaliers. De son sommet, vous aurez une vue imprenable et fabuleuse sur San Miniato et sa région !
Cette tour de 37 mètres de haut fut construite au XIIIè siècle. Néanmoins, réduite à néant par les troupes allemandes en 1944, elle fut reconstruite à l'identique en 1958.
Elle est le symbole de la ville.
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Vous voulez revivre cette étape en vidéo 3D ? C'est ici :
Appréciation du parcours :
Incontestablement, il s'agit d'une des plus belles étapes de la Via Francigena ! L'itinéraire emprunte de superbes chemins la grande majorité du temps à l'écart des axes routiers.
En y ajoutant un patrimoine historique exceptionnel, nous sommes là face à un immanquable de cette aventure entre Canterbury et Rome !
Que dire de plus !? Allez-y !
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Le district du cuir
Depuis hier soir et jusqu'en fin de parcours, le 1 octobre, j'ai établi mes quartiers chez Mauro, le patriarche, et Leonardo, le fils, à Fucecchio.
En fin d'étape, aujourd'hui, j'ai tellement pris mon temps que je n'ai plus trouvé de bus pour me ramener de San Miniato à Fucecchio ! Un petit coup de fil et Mauro vient gentiment me chercher en voiture !
J'ai ainsi la chance de faire la connaissance de ce grand gaillard qui respire la joie de vivre. Mauro, maintenant à la retraite, a passé toute sa vie à parcourir le monde à la recherche des meilleurs cuirs pour alimenter la maroquinerie qui fait la réputation de Milan. Et ce n'est pas un hasard.
Le Val d'Arno, de Santa Croce sull'Arno à Florence, constitue ce qu'on appelle ici le district ou le quartier du cuir. Le tannage du cuir, dans la région, remonte à l'époque étrusque. A l'âge du fer, donc.
Mais c'est surtout au XIIIè siècle, à l'époque de la République de Pise, que l'industrie se développe. Au XVè siècle, les Florentins prennent le dessus. Une partie de la production se déplace vers Florence.
L'industrie du cuir, dans le District du cuir, a su s'adapter au fil des siècles et les cuirs travaillés ici constituent encore aujourd'hui une référence. Les bois environnants fournissent toujours les tanins végétaux nécessaires à la production des cuirs historiques.
Le soir, je sors les poubelles pour les vider dans les containers extérieurs. La porte d'entrée du logement se referme derrière moi... la clef à l'intérieur ! Aaargh !
Heureusement, j'ai mon téléphone sur moi ! Un petit coup de fil à Mauro et le voilà arrivant avec un sourire goguenard pour m'ouvrir la porte. Sacré Mauro, deux fois il m'aura sauvé la vie aujourd'hui !
C'est la première fois que je partage sur mon blog les coordonnées d'un de mes hébergeurs. Si vous séjournez dans la région, je ne peux que vous recommander Mauro et Leonardo, ces deux-là ont un sens de l'accueil exceptionnel !
Sur Airbnb, recherchez Toskana Relax Superior, à Fucecchio.
Comment rejoindre cette étape ?
Tout dépendra bien sûr de l'endroit où vous serez hébergé mais si vous voulez utiliser les transports en commun, le choix de Fucecchio s'impose presque.
Si Altopascio possède bien une gare, il est difficile d'y revenir en fin d'étape depuis San Miniato (au moment où j'écris ces lignes). Il y a aussi une gare entre Fucecchio et San Miniato Basso mais les deux ne se trouvent pas sur la même ligne. Il faudrait passer par Florence, ce qui allonge le temps de trajet considérablement.
En revanche, il est possible de rejoindre Altopascio en bus depuis Fucecchio et même chose entre San Miniato et Fucecchio. À condition de ne pas trop flâner en fin d'étape !
Dans tous les cas, vérifiez les horaires et les différentes possibilités si vous avez l'intention de parcourir cette magnifique étape.
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Vous souhaitez parcourir cette étape de la Via Francigena ? Vous trouverez ci-dessous la trace GPX de l'itinéraire tel que je l'ai suivi :