Parce que randonner c'est la santé...
Le résumé du randonneur pressé :
Une étape longue (33 km) mais splendide entre Sienne et Buonconvento, à travers les paysages ondulants des Crete Senesi, cœur minéral de la Toscane méridionale.
Le parcours débute à l’Antiporto Camollia et traverse le centre historique de Sienne jusqu’à la Porta Romana, offrant un aperçu de ses trésors, parmi lesquels la Piazza del Campo et son célèbre Palio. Puis la ville s’efface peu à peu pour laisser place aux collines du Val d’Arbia.
Le tracé alterne petites routes et chemins de campagne surplombant des paysages typiquement toscans. La Grancia di Cuna, superbe ferme fortifiée médiévale, mérite un détour, et l’on aperçoit bientôt Monteroni d’Arbia avant de poursuivre vers Quinciano. Une variante permet de grimper sur les hauteurs du Poggio della Casana, puis de retrouver la Via Francigena officielle à Ponte d’Arbia.
L’arrivée à Buonconvento, classé parmi les plus beaux villages d’Italie, récompense largement les efforts : remparts du XIVᵉ siècle, église Santi Pietro e Paolo et tour communale rappellent son riche passé.
Une journée exigeante mais inoubliable, entre patrimoine, histoire et paysages de carte postale.
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Et en détail :
Temps de lecture : environ 20 minutes
Une fois n’est pas coutume, nous ne partons pas ce matin exactement de l’endroit où nous étions arrivés hier. Mais ce n’est qu’une question d’un kilomètre, et vous ne manquerez rien.
Nous démarrons donc de la chiesa Santa Petronilla, Viale Camillo Benso di Cavour, à Sienne (Siena). Ce choix n’est pas anodin : vous en comprendrez la raison à la fin du récit, dans le paragraphe « Comment rejoindre cette étape ? ».
Cette étape nous mènera jusqu’à Buonconvento, à 33 kilomètres d’ici. Une longue randonnée à travers la province de Sienne, en Toscane, que l’on peut facilement raccourcir pour ceux qui trouveraient la distance intimidante. Là encore, je vous explique tout à la fin du récit.
Alors, on y va ?
Sienne possède un patrimoine architectural et culturel absolument extraordinaire. Nous en aurons un bref aperçu en traversant la ville au tout début de cette étape. Mais comme Kévin et moi ne reculons devant aucun sacrifice pour satisfaire votre curiosité, nous sommes partis découvrir une partie de la ville hier en fin de journée — je vous raconte cela à la fin de l’article.
Comme nous n’avons pas pu tout visiter, nous reviendrons à Sienne le week-end prochain : vous aurez donc droit à un autre reportage à la fin du récit de l’étape du 15 avril.
En attendant, c’est l’Antiporto Camollia qui se dresse devant nous dès les premiers mètres. Elle fut construite en 1270 pour renforcer les défenses de l’accès nord à la ville. Pour l’anecdote, les fresques que l’on peut observer sous la porte sont réapparues en 1944, le plâtre qui les recouvrait s’étant effondré sous l’effet d’un bombardement.
Puisqu’il y a une antiporte, il faut bien qu’il y ait une porte ! Trois cents mètres plus loin, sur la route de Florence, la Porta Camollia nous accueille avec son arc monumental.
Au Moyen Âge, Florence et Sienne se livraient une lutte acharnée pour dominer la Toscane. Florence, fidèle au pape, s’opposait à Sienne, alliée de l’empereur. Des décennies de rivalités politiques, économiques et militaires marquèrent la région, jusqu’à la célèbre bataille de Montaperti, en 1260, où Sienne infligea à sa rivale une défaite restée dans les mémoires.
La Porta Camollia, principale porte nord de la ville, fut donc la plus fortifiée, car elle faisait face à l’ennemie florentine. Érigée au XIIIe siècle, elle fut détruite en 1555 lors du siège de la ville par l’armée impériale de Charles Quint, au cœur de la guerre de Sienne (1552-1559), qui opposait la France et l’Empire espagnol pour le contrôle de l’Italie. La porte actuelle date de 1604.
Une fois la porte franchie, nous poursuivons par la Via Camollia, une rue déjà riche en découvertes architecturales et en traces du passé.
Plus loin, Banchi di Sopra, la Piazza Salimbeni, une belle place carrée de la seconde moitié du XIXᵉ siècle, accueille en son centre la statue de Sallustio Bandini, prêtre et économiste du XVIIIᵉ siècle.
Précurseur du libéralisme économique, Bandini incarne les idéaux de rationalité et de progrès que la Banca Monte dei Paschi di Siena revendique depuis ses origines. Fondée en 1472 comme Monte di Pietà pour venir en aide aux plus démunis, cette institution, dont le siège historique se dresse au fond de la place, est aujourd’hui considérée comme la plus ancienne banque encore en activité au monde, témoin vivant de cinq siècles d’histoire financière à Sienne.
La Via Francigena nous conduit ensuite à la Piazza Tolomei, discrète mais emblématique, pour une autre histoire de banquiers.
La place témoigne de l’ancien pouvoir de la famille Tolomei, influents banquiers du XIIIᵉ siècle. Leur palais gothique, l’un des plus anciens de Sienne, servit même brièvement de siège communal.
Au centre de la place, la colonne surmontée de la Lupa senese rappelle la légende fondatrice de la ville. En arrière-plan, l’église San Cristoforo, au style roman remanié au XVIIIᵉ siècle, complète ce décor chargé d’histoire.
Selon la tradition, Sienne aurait été fondée par Senio et Ascanio, fils de Rémus. Fuyant leur oncle Romulus après l’assassinat de leur père, ils auraient emporté avec eux la statue de la Lupa Capitolina, la louve qui les avait nourris.
Arrivés en Toscane, ils fondèrent une cité sur les collines, baptisée Siena en hommage à Senio. La louve devint alors l’emblème de la ville, symbole de filiation romaine, de protection et de fierté civique.
À Sienne, la louve ne veille pas sur des enfants — elle veille sur une ville.
En quittant la Piazza Tolomei, nous poursuivons notre visite culturelle… pardon, notre randonnée, le long de la Via Banchi di Sopra, où l’élégance architecturale se décline sous une autre forme.
À l’angle avec la Via di Città, la Loggia della Mercanzia attire le regard avec ses arcades en marbre blanc finement sculptées. Édifiée au XVe siècle comme siège de la corporation des marchands, elle incarne la puissance économique de la Sienne prospère.
Juste à côté, le discret Vicolo San Pietro s’ouvre comme une échappée vers la Piazza del Campo, cœur vibrant de la ville et théâtre du célèbre Palio.
Nous pénétrons maintenant sur la Piazza del Campo, cœur civique et symbole de Sienne. Aménagée dès le XIIIᵉ siècle à l’initiative de la commune, cette place en forme de coquille Saint-Jacques fut pensée comme un espace de rassemblement et de pouvoir, dominé par le Palazzo Pubblico et la Torre del Mangia.
Elle reflète l’ambition politique des Siennois, qui voulaient rivaliser avec Florence par l’élégance de leur urbanisme. Pourtant, ce théâtre monumental est bordé de façades sobres et harmonieuses, volontairement uniformisées pour ne pas éclipser la solennité du centre.
Ce contraste entre grandeur civique et simplicité résidentielle confère à la place son équilibre unique : à la fois majestueuse et accueillante.
Deux fois par an, le 2 juillet et le 16 août, la Piazza del Campo se transforme en arène pour accueillir le Palio, une course de chevaux aussi brève qu’intense, enracinée dans les traditions médiévales de Sienne. Chaque Contrada (quartier historique) y défend ses couleurs avec ferveur, dans une compétition où l’honneur prime sur la victoire. Le Palio n’est pas qu’un événement sportif : c’est une célébration identitaire, un rituel civique, et un spectacle d’une intensité rare.
À Sienne, le Palio ne se regarde pas — il se vit.
On aimerait bien flâner un peu sur la Piazza del Campo, profiter encore de son atmosphère paisible et de ses façades ocre, même sous un ciel couvert. Mais il nous reste plus de 31 kilomètres à parcourir, alors il faut bien se résoudre à repartir !
Depuis la Piazza Tolomei, point culminant de cette étape à 349 mètres d’altitude, nous avons amorcé une lente descente. La Via di Pantaneto, que nous suivons maintenant vers le sud-est, prolonge cette pente douce. Rien de bien marquant sur ces 500 mètres, si ce n’est une ancienne porte, vestige de l’enceinte du XIIIᵉ siècle, qui marque la fin de la rue et l’entrée dans la Via Roma.
Depuis la porte ancienne enchâssée à la fin de la Via di Pantaneto, le chemin se prolonge naturellement par la Via Roma, où se dresse la monumentale Porta Romana.
Érigée entre 1327 et 1329 lors de la construction de la troisième enceinte de Sienne, elle marquait l’accès sud de la ville, tourné vers Rome — d’où son nom. Plus grande des portes de Sienne, elle fut conçue à la fois comme ouvrage défensif et comme signal d’accueil pour les pèlerins de la Via Francigena. Son arc en briques encadré de travertin, ses créneaux et sa niche centrale abritant une Vierge bénissant les voyageurs témoignent de cette double vocation, militaire et spirituelle.
Franchir la Porta Romana, c’est quitter la ville fortifiée pour entrer dans les paysages ouverts de la campagne siennoise, là où l’histoire se mêle à la poussière des chemins.
Dès la sortie de la Porta Romana, la Via Francigena bifurque franchement sur la gauche, comme si elle voulait tirer un trait définitif sur Sienne. On emprunte alors la Strada di Certosa, une petite route asphaltée que l’on suit pendant près de cinq kilomètres. Pour la poussière, on attendra…
D’abord bordée d’habitations, elle s’ouvre bientôt sur la campagne siennoise, vallonnée et verdoyante. Un vrai régal pour les yeux !
Nous entrons ici dans les Crete Senesi, cette région emblématique du sud de Sienne, connue pour ses paysages ondulants et ses terres argileuses aux reflets changeants.
On croit avoir tourné la page, mais Sienne continue de nous accompagner. À chaque détour, la route panoramique offre de belles vues sur la ville, fièrement posée sur sa colline.
Les kilomètres s’égrènent sans lassitude, même si le décor reste inchangé. Peu à peu, nous descendons dans la vallée du Borro Riluogo, traversée par la ligne de chemin de fer Sienne–Chiusi sur un petit viaduc de briques rouges.
Contrairement au train, nous ne franchissons pas le cours d’eau : nous le suivons sur la berge, vers la droite, par un petit sentier visiblement apprécié des cyclistes. C’est agréable, jusqu’à ce que nous traversions une zone industrielle offrant si peu d’intérêt que j’ai même omis de la photographier.
À la sortie de cette zone, après avoir franchi la Strada di Renaccio, nous retrouvons le Borro Riluogo avant d’évoluer entre la ligne de chemin de fer Montepescali–Sienne et la Strada della Fonte Murata. Cela reste tout de même plaisant.
Nous sommes finalement contraints de rejoindre la route, assez fréquentée, pour traverser une nouvelle zone industrielle. Ce passage ne nous laissera pas un souvenir impérissable.
Un peu plus loin, au rond-point à la sortie de la zone, un vestige de l’histoire attire quand même le regard : un petit oratoire dédié à Santa Lucia. Elle était la sainte patronne d’une église érigée ici à l’aube du XIVᵉ siècle. Au XVIIIᵉ, elle fut rétrogradée au rang de chapelle et finit par disparaître au siècle suivant, lorsque la route que nous empruntons aujourd’hui fut construite, menant vers Isola d’Arbia, le village voisin.
Isola d’Arbia ne nous a pas vraiment séduits. Au centre, nous sommes même soulagés de trouver un passage sous voie qui permet de contourner le village par le sud‑ouest.
Le long de la Via Cassia, la chiesa di Sant’Ilario rappelle toutefois qu’Isola d’Arbia fut autrefois une halte importante pour les voyageurs. Mentionnée dès 1081, cette petite église était un lieu de dévotion pour les pèlerins français en route vers Rome. Malheureusement, nous n’avons pu la voir, la Via Francigena bifurquant avant de passer à sa hauteur.
Le village laissé derrière nous, et le Torrente Tressa, limite administrative entre Sienne et Monteroni d’Arbia, franchi, le bonheur revient : quatre kilomètres par monts et par vaux jusqu’à Cuna, en passant par Ponte a Tressa, où nous ne faisons qu’un bref passage.
Le chemin de campagne offre de nouvelles belles vues sur la Toscane, et, pour la dernière fois peut-être, Sienne se dessine encore au loin, sur l’horizon.
Kévin ayant visiblement le mors aux dents, je le laisse filer. Je n’ai donc aucun scrupule à m’arrêter quand je retrouve les trois Italiens aperçus à Colle di Val d’Elsa il y a deux jours.
Assis au bord du chemin pour une pause bien méritée, ils m’accueillent avec le sourire. Cette fois, j’en profite pour faire connaissance, d’autant plus facilement que l’un d’eux parle très bien français. Ils viennent de Crémone (Cremona) et parcourent la Via Francigena de San Gimignano à Radicofani.
Après avoir salué mes camarades de route, je prends une autre décision. Depuis Ponte a Tressa, un bâtiment attire mon regard, et bien qu’il soit hors parcours, pousser jusqu’à lui me semble une évidence.
La Grancia di Cuna s’impose comme l’un des plus remarquables exemples de ferme fortifiée médiévale en Toscane. Édifiée au XIVᵉ siècle par l’Ospedale Santa Maria della Scala de Sienne, elle servait à la fois de grenier à blé, de relais pour les pèlerins de la Via Francigena et de bastion défensif. Sa rampe intérieure voûtée, ses tours d’angle et ses murailles de briques rouges témoignent d’une architecture à la fois pragmatique et visionnaire, où spiritualité, économie et stratégie se mêlaient étroitement.
Juste à l’entrée du site se dresse la Chiesa dei Santi Giacomo e Cristoforo, une petite église en briques rouges, témoin silencieux du passage des pèlerins. Dédiée à saint Jacques et saint Christophe — patrons des voyageurs — elle rappelle la vocation hospitalière du lieu dès le XIIᵉ siècle, alors rattaché à l’abbaye de Torri avant de dépendre de l’Ospedale Santa Maria della Scala.
Un endroit formidable, chargé d’histoire, dont le détour vaut vraiment la peine.
Retour sur la Via Francigena, en direction du sud. Je retrouve Kévin un peu plus loin, à l’extrémité de la Strada della Fornacina, et ensemble nous entamons l’ascension de la Strada di Belvedere.
Ce chemin de campagne nous conduit au sommet d’une colline occupée par plusieurs fermes et des potagers, probablement partagés comme on en trouve en France. La zone porte d’ailleurs le nom d’Orti di Monteroni d’Arbia, ce qui signifie « Jardins de Monteroni d’Arbia ».
Le chemin zigzague sur le sommet de la colline, près de la Podere Fornacina — une ferme —, à hauteur de Monteroni d’Arbia qu’on aperçoit au creux de la vallée. On poursuit ensuite sur la Strada Villa Littoria. Des cyprès bordent les chemins, révélant la Toscane telle qu’elle a toujours peuplé mon imaginaire.
La Strada Villa Littoria me ramène aussi à mes souvenirs de la Via Francigena. Ici, des œuvres d’art jalonnent le parcours, formant comme un musée en plein air, à l’image du tronçon longeant le lac Léman, en Suisse. Un banc me rappelle aussi le Big Bench aperçu lors de la superbe étape entre San Miniato et Gambassi Terme, en compagnie des jeunes universitaires de Bologne. Des moments inoubliables…
À Quinciano, la chiesa di Sant’Albano se dresse légèrement en retrait du chemin, flanquée de bâtiments agricoles, dont l’un, doté d’une tour crénelée, témoigne d’un passé résidentiel et défensif. Tellement bien flanquée qu’elle n’apparaît même pas sur mes photos…
Jadis rattachée à l’Ospedale Santa Maria della Scala, l’église abritait plusieurs œuvres remarquables, aujourd’hui conservées au musée de Buonconvento. Ce modeste ensemble, comparé à la Grancia di Cuna, à la fois spirituel et rural, illustre la diversité des implantations religieuses dans la campagne toscane.
En bas de Quinciano, nous débouchons sur la Via Monteroni - Vescovado, où un panneau propose une variante au parcours officiel. Normalement, nous devrions suivre la voie ferrée Montepescali-Siena jusque Ponte d’Arbia, mais la variante nous semble rapidement plus séduisante, même si plus exigeante physiquement. Dois-je vous dire ce que nous avons choisi ? Vraiment ?
Vous avez tout compris : oui, c’est bien la variante que nous choisissons d’emprunter.
Plutôt que de suivre la voie ferrée dans la vallée, le sentier grimpe vers le Poggio della Casana, d’où nous bénéficions d'un panorama ouvert sur la vallée du Torrente Sorra. De là-haut, la vue sur la ferme-château de Quinciano est sans doute la plus complète.
Nous suivons la crête pendant environ 1,4 kilomètre, jusqu’à la Villa di Curiano, une exploitation agricole paisiblement installée sur les hauteurs. Puis le chemin amorce sa descente vers la vallée jusqu'à la ligne de chemin de fer.
Nous retrouvons là le tracé officiel de la Via Francigena qui, longeant la voie ferrée, nous conduit jusqu’à Ponte d’Arbia. Nous aurons ainsi profité des deux perspectives sur la vallée : celle d’en haut et celle d’en bas.
Nous arrivons à Ponte d'Arbia, qui doit son nom au pont surmontant le… Torrente Arbia. Bravo, vous êtes trop forts !
À l’époque de Sigeric, le village s’appelait simplement Arbia et constituait sa quatorzième étape lors du voyage retour de Rome à Canterbury. Aujourd’hui encore, de nombreux pèlerins et randonneurs empruntant la Via Francigena font sans doute halte ici.
Arbia fut également le théâtre d’un événement macabre : le 24 août 1313, Henri VII de Luxembourg — vous le connaissiez, n’est-ce pas ? —, empereur du Saint-Empire romain germanique, y fut assassiné. Un moine du couvent de Buonconvento l’aurait empoisonné pendant la communion. On n’est jamais trop méfiant !
Bon, ça, c’est pour la légende. En réalité, il semblerait que l’empereur souffrait d’une infection à l’anthrax, que l’on soignait alors avec des compresses d’arsenic. Là résident sans doute les vraies causes de sa mort…
Comme vous le savez, nous avons choisi de poursuivre jusqu’à Buonconvento. Un choix peut-être un peu audacieux, voire téméraire, puisqu’il allonge l’étape d’environ cinq kilomètres — les plus exigeants, vu le relief — mais rendu nécessaire pour des raisons logistiques. On en reparle plus loin.
En attendant, ces kilomètres ont beau être rudes, le chemin reste agréable, jalonné de belles vues sur la campagne et encore ponctué de quelques œuvres d’art. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais ça aide à avaler la distance sans trop s’en rendre compte.
Quand Buonconvento se dessine enfin devant nous, il reste encore un peu plus de deux kilomètres à parcourir.
Après une descente assez raide, nous traversons la plaine jusqu’au Fiume Ombrone, qui marque l’entrée dans la ville. Classé parmi les plus beaux villages d’Italie, Buonconvento promet une traversée qui ne devrait pas nous décevoir.
Et, effectivement, même si la Via Francigena ne traverse que le quartier historique, cela suffit amplement pour apprécier le charme de cette petite ville, dont les premières mentions remontent au début du XIIᵉ siècle. Les remparts, érigés entre 1371 et 1383, rappellent l’époque où Buonconvento était le principal centre du Val d’Arbia.
Après avoir franchi la Porta Senese (1379), nous découvrons un peu plus loin la façade baroque de la Chiesa dei Santi Pietro e Paolo. Probablement bâtie en 1103, elle fut reconstruite au XIVᵉ siècle, tandis que sa façade actuelle date de 1723. Elle demeure l’église la plus importante de la ville.
En poursuivant sur la Via Soccini, difficile de manquer la Torre Civica, édifiée en même temps que les remparts. Intégrée au Palazzo Podestarile, elle symbolisait autrefois le pouvoir communal. Sur la façade, vingt-cinq blasons en pierre rappellent les anciens podestats qui ont gouverné Buonconvento.
Dans les cités italiennes du Moyen Âge, le podestat incarnait l’autorité communale. Magistrat suprême, souvent étranger à la ville, il était nommé pour garantir l’impartialité dans les conflits locaux. À Buonconvento, les blasons sculptés sur la Torre Civica témoignent du passage de ces figures de pouvoir.
Doté de pouvoirs étendus — justice, finances, sécurité, administration — le podestat remplaçait les consuls jugés trop partisans. Il symbolisait une gouvernance rationnelle dans des cités souvent divisées par les rivalités familiales.
| Fonction italienne | Équivalent français | Remarques |
|---|---|---|
| Podestat (XIIᵉ–XIVᵉ s.) | Bailli royal ou sénéchal | Représentant du pouvoir central, mais nommé par le roi |
| Podestat dans les villes libres | Maire sous tutelle préfectorale | Rôle exécutif, mais sans exigence d’extériorité |
| Podestat sous Mussolini | Maire nommé par l’État | Fonction réutilisée dans un cadre autoritaire |
Le mot podestat vient du latin potestas, « pouvoir ». Il incarne une tentative de neutralité dans la gouvernance locale, à une époque où les passions pouvaient paralyser les institutions.
Nous aurions pu en rester là, mais déjà nos pensées se tournent vers l’étape de demain.
Nous quittons donc le centre historique par la Via di Percenna, traversons la ligne de chemin de fer, puis, au bout de la rue, prenons à droite un petit sentier, la Via Palmiro Togliatti, qui nous conduit derrière la gare de Buonconvento. Demain, nous pourrons ainsi reprendre facilement la Via Francigena dès notre descente du... bus.
Et ainsi s’achève l’une des étapes les plus mémorables de notre périple sur la Via Francigena !
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Vous voulez revivre cette étape en vidéo 3D ? C'est ici. Et désolé si le GPS a parfois perdu le nord, surtout dans les rues étroites de Sienne.
Appréciation du parcours :
Cette longue étape entre Sienne et Buonconvento offre un condensé de Toscane authentique, où les collines verdoyantes des Crete Senesi se déploient à perte de vue.
Les petites routes et chemins de campagne mènent de hameaux en fermes fortifiées, dans un décor d’une rare harmonie. L’itinéraire, sans grande difficulté technique, séduit par la variété de ses paysages et la richesse de son patrimoine, de Sienne aux remparts de Buonconvento en passant par la Grancia di Cuna.
En revanche, il faut savoir qu’en dehors des villes et villages, l’ombre est inexistante : en plein été, la chaleur peut rapidement rendre la progression éprouvante.
Une étape exigeante par sa longueur et selon les conditions météo, mais inoubliable pour la beauté des paysages traversés et la force tranquille qu’ils dégagent.
Comment rejoindre cette étape ?
Ce matin, nous avons quitté notre logement à Sienne pour rejoindre en voiture la gare de Buonconvento. De là, nous avons pris le train pour revenir à Sienne. Depuis la gare de Sienne, des escaliers mécaniques permettent de remonter jusqu’à l’Antiporto Camollia : voilà pourquoi nous avons choisi ce point de départ.
Pour ceux qui voyagent comme nous, l’étape peut se raccourcir facilement. On peut par exemple s’arrêter à Ponte a Tressa (+/- 15 km) ou à Monteroni d’Arbia (+/- 20 km), les deux disposant d’une gare.
Pour les vrais pèlerins ou ceux qui ont recours à un transport de bagages, ce paragraphe ne vous concerne pas.
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Sienne, côté ouest : notre visite en marge de l’étape
Hier, nous avons terminé l’étape en milieu d’après-midi, laissant le temps de découvrir, partiellement, le patrimoine exceptionnel de Sienne. Nous avons pris soin d’éviter le parcours de la Via Francigena, tant il y a à voir.
Depuis notre logement, impossible cependant d’éviter l’Antiporto et la Porta Camollia, déjà présentées dans le récit principal. Je vous propose donc de commencer par la Chiesa di Santa Petronilla.
Peu visitée, cette église recèle pourtant plusieurs siècles d’histoire. À l’origine, un monastère de Clarisses y était dédié à sainte Pétronille, martyre romaine. Le couvent, actif jusqu’au milieu du XVIᵉ siècle, fut détruit lors du siège de Sienne en 1555, qui mit fin à la République siennoise.
En 1622, le site accueillit un couvent de Capucins, dont l’église fut consacrée en 1632 sous le titre de l’Immaculée Conception. Sobre et fonctionnelle, elle reflétait les idéaux franciscains de pauvreté et de proximité avec les fidèles.
Après l’unification italienne, les Capucins durent quitter les lieux en 1866, et le complexe servit d’abri pour malades. Partiellement restitué à l’Église à la fin du XIXᵉ siècle, l’église connut des travaux de restauration en 1895, et son clocher néo-roman fut ajouté en 1939–40, lui donnant son aspect actuel.
Nous passons l’Antiporto Camollia. Sur la gauche de la Viale Camillo Benso di Cavour, à hauteur de la station supérieure des escaliers mécaniques venant de la gare de Sienne, la vue s’ouvre sur le versant opposé de la vallée empruntée par le train, offrant un petit panorama sur les collines environnantes.
Après la Porta Camollia, Via Camollia, nous retrouvons la Chiesa San Pietro alla Magione, aperçue ce matin.
Fondée au XIᵉ siècle, cette église fut confiée aux Templiers au XIIᵉ, qui en firent une maison d’accueil pour pèlerins sur la Via Francigena. Après la suppression de l’ordre, elle passa aux Hospitaliers, puis aux Chevaliers de Malte.
L’édifice, sobre et roman, conserve un clocher à peigne typique et plusieurs fresques du XIVᵉ siècle. Aujourd’hui, elle est rattachée à la Contrada dell’Istrice et reste un lieu de mémoire discret mais chargé d’histoire.
Plus loin, nous quittons la Via Camollia pour rejoindre la Lizza, un parc arboré qui longe les anciens remparts nord de la ville. Au centre, la statue équestre de Garibaldi rappelle l’unification italienne, dans un style typique du XIXᵉ siècle.
Nos déambulations nous mènent ensuite Piazza Matteotti, où la poste italienne occupe un élégant bâtiment de style rationaliste, construit dans les années 1930.
Enfin, nous aboutissons sur la Piazza Indipendenza, dominée par une tour néo-gothique érigée en 1879 pour commémorer les Siennois tombés lors des guerres d’indépendance.
Ce secteur, moins fréquenté par les touristes, offre un autre visage de Sienne : celui d’une ville qui, après les fastes médiévaux, s’est aussi inscrite dans l’histoire contemporaine.
En chemin vers la cathédrale, Via di Diacceto, un pont nous offre une formidable vue sur la Basilica Cateriniana di San Domenico, perchée sur l'autre versant de la vallée.
Massif et austère, l’édifice domine le quartier de Fontebranda depuis le XIIIᵉ siècle. C’est ici que sainte Catherine de Sienne priait, enseignait, et reçut les stigmates.
La basilique conserve aujourd’hui sa tête-relique, exposée dans une chapelle latérale. Vue d’en face, la silhouette de l’église, son clocher crénelé et ses murs de briques rouges se détachent nettement sur le ciel toscan — un repère spirituel autant que visuel.
Nous découvrons enfin la Cattedrale di Santa Maria Assunta, sur la Piazza San Giovanni.
À ce moment-là, nous n’avons encore qu’une idée partielle de ce qui nous attend, jusqu’à ce que la Piazza del Duomo s’ouvre devant nous et que la façade de la cathédrale se révèle dans toute sa complexité. Marbre blanc, vert et rose, sculptures foisonnantes, pinacles et rosace : l’ensemble impressionne par sa richesse sans tomber dans l’excès.
Érigée à partir du XIIᵉ siècle, la cathédrale devait initialement être agrandie pour devenir la plus vaste église de la chrétienté — un projet interrompu par la peste noire de 1348.
Malheureusement, l’accès est fermé à cette heure, mais ce n’est que partie remise — nous reviendrons la visiter samedi, avec le temps qu’elle mérite.
De la cathédrale, nous descendons par la Via del Costone, une ruelle en pente qui épouse le relief de la colline. En contrebas, la Fontebranda nous attend. L’une des plus anciennes fontaines de Sienne, mentionnée dès le XIIᵉ siècle, elle est surtout la plus grande et la plus monumentale.
Alimentée par un réseau complexe d’aqueducs souterrains, elle servait à la fois aux lavandières, aux artisans — notamment les teinturiers — et à l’approvisionnement en eau potable.
En chemin, la vue sur San Domenico continue de capter le regard.
Nous longeons aussi les anciens remparts, vestiges de la troisième enceinte de la ville, qui rappellent combien Sienne fut longtemps une cité retranchée, jalouse de son indépendance.
Nous ne pourrons pas visiter San Domenico non plus, alors nous nous dirigeons vers la Fortezza Medicea, sur le chemin du retour vers notre logement. Le parcours, en légère montée, nous fait longer les jardins de la Lizza avant d’atteindre le promontoire.
De là, les vues vers le centre historique de Sienne sont absolument fabuleuses : la cathédrale, la Torre del Mangia, les toits ocre et les façades alignées sur les crêtes se détachent nettement dans la lumière de fin de journée. Ce panorama, à la fois ample et intime, offre une dernière respiration avant de quitter le cœur de la ville.
Nous terminons cette visite succincte mais néanmoins très riche de Sienne par la Fortezza Medicea.
Construite au XVIᵉ siècle par les Florentins pour asseoir leur domination sur la ville, elle contraste par son calme actuel. Sans monter sur les remparts, nous longeons ses bastions de briques rouges, aujourd’hui intégrés à un parc paisible.
Cette visite en marge de l’étape nous aura permis de faire nos premiers pas dans le cœur historique de Sienne. Entre ruelles tranquilles, points de vue et monuments, on repart avec l’envie d’en voir plus. Ce n’était qu’un aperçu — la suite samedi !
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Vous souhaitez parcourir cette étape de la Via Francigena ? Vous trouverez ci-dessous la trace GPX de l'itinéraire tel que nous l'avons suivi :
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