17 avril 2023 - La Via Francigena de Donnas à Ivrea

Tous les connaisseurs de la Via Francigena vous le diront, la plaine du Pô est considérée comme une traversée du désert, sans ombre sous un soleil de plomb et avec ses escadrilles de moustiques.

Alors, comme les dix étapes de cette session printanière de ma marche vers Rome vont m'y emmener (pas à Rome, mais à travers la plaine du Pô !), le choix de la période s'avérait crucial.

J'ai donc longuement scruté la météo et les conditions de circulation pour être (quasi) sûr de pouvoir rejoindre Pont-Saint-Martin en passant par la Suisse et de bénéficier d'un temps favorable à la randonnée sans les inconvénients cités ci-dessus.

Et c'est le 15 avril que cette période s'est ouverte à moi. Après deux jours de route et une halte nocturne à Lausanne chez mes amis Sam et Angelina, me voilà maintenant prêt à me lancer sur cette première étape !

Cette fois, je ne suis cependant pas seul. Mon fils cadet, Kévin, m'accompagne. Enfin... Pas aujourd'hui puisqu'il démarre de Nus (voir étape du 8 septembre 2022) et ira le plus loin qu'il peut. Le but étant que d'ici deux jours nous puissions continuer ensemble.

Quant à moi, j'aurais normalement dû commencer de Pont-Saint-Martin. Mais rappelez-vous, à Donnas j'avais aussi la possibilité de rejoindre le pont Saint-Martin en passant par la montagne (voir étape du 9 septembre 2022). J'avais cependant privilégié la solution de facilité en restant dans la vallée.

Comme la maison ne recule devant aucun sacrifice pour vous informer au mieux, je reviens donc à Donnas pour parcourir cette voie alternative par la montagne. Ce sont donc 26 kilomètres qui m'attendent jusqu'à Ivrea, au lieu de 21.

L'étape démarre au torrent Bellet, à la sortie du vieux bourg de Donnas. Sans transition, nous partons pour l'ascension de la montagne.

Nous suivons le torrent pendant 500 mètres et nous prenons rapidement de l'altitude pour profiter d'une belle vue sur la Vallée d'Aoste.

Alors que les sommets les plus élevés sont encore enneigés, il fait plus de 20 degrés au soleil dans la vallée.

Nous abandonnons le torrent pour emprunter une petite route asphaltée qui court à flanc de montagne, à travers le vignoble. Je ne regrette pas ma décision, c'est de toute beauté !

Cette route porte le nom de "Route des vignobles alpins". C'est on ne peut plus pertinent ! Des panneaux vous expliquent tout et un vignoble de démonstration a même été aménagé.

Sur 3,4 kilomètres, jusqu'au hameau de Bousc Daré, à Pont-Saint-Martin, nous suivons ainsi le flanc de la montagne dans un paysage enchanteur.

Franchement, si vous êtes un jour confronté au même dilemme que moi, choisissez cette voie plutôt que celle de la vallée. Notez cependant que cette alternative n'est proposée ni sur l'application, ni sur le site officiel de la Via Francigena mais figure seulement sur les cartes IGN ou OpenStreetMap randonnée (Monde).

À Bousc Daré, le parcours de la Via Francigena est barré par des travaux. Je suis dès lors contraint de suivre la route jusqu'au château Baraing, puis de descendre par sa gauche vers le pont Saint-Martin.

La construction du château dura dix ans, de 1883 à 1893, à l'initiative du docteur Pietro Annibale Baraing, qui mourut peu de temps après la fin des travaux !

Sa veuve décida qu'à sa mort, toutes ses propriétés seraient léguées à la commune. Ce fut fait en 1931. Ainsi, jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, le château abrita la mairie de Pont-Saint-Martin.

Puis, jusqu'au début des années 60, il accueillit le bureau d'insertion professionnelle. Après plusieurs années d'abandon, il abrite aujourd'hui la Communauté des Montagnes Mont Rose.

Au bout de la descente depuis le château Baraing, on débouche sur la Via Roma qui mène directement au pont Saint-Martin (voir étape du 9 septembre 2022 pour son histoire et les détails).

Ce détour (en réalité un raccourci) dû aux travaux me permet ainsi de passer sur ce vieux pont romain, ce que ne propose ni le parcours officiel, ni l'itinéraire alternatif de la Via Francigena. Absolument incompréhensible pour moi !

Tout aussi incompréhensible pour moi est la localisation de l'Office de Tourisme de Pont-Saint-Martin.

Alors que je m'attendais à le trouver en centre-ville pour faire estampiller ma credencial, eh bien non, il se trouve complètement décentré, Via Circonvallazione, soit à plus d'un kilomètre du pont ! Dans la direction opposée à celle que je dois prendre, bien sûr !

Bon, le détour (c'est bien un détour !) me permet de prendre cette photo de Pont-Saint-Martin d'un peu plus loin sur le torrent Lys. On y aperçoit, dominant la ville, le Castello Vecchio dont les origines remonteraient au XIè siècle.

Je récupère la Via Francigena cent cinquante mètres après le remarquable rond-point de la Route Nationale, en empruntant la Via Sant'Erasmo.

Bonne nouvelle si vous voulez faire tamponner votre credencial sans faire le détour jusqu'à l'Office de Tourisme. Il est possible de le faire à l'auberge qui accueille les pèlerins, Via Schigliatta.

Moins bonne nouvelle : en journée elle n'est pas occupée en permanence.

On quitte l'agglomération de Pont-Saint-Martin par le Sentier des Vignobles (Sentiero dei Vigneti), un très beau sentier où, par endroits, des escaliers sont creusés à même la roche. S'élevant sur le flanc de la vallée, il nous procure de beaux panoramas.

Peu avant d'arriver à la chapelle San Rocco, nous quittons officiellement la Vallée d'Aoste pour le Piémont.

La chapelle Saint-Roch, construite au XVIIè siècle par les habitants de Carema pour remercier Saint-Roch de les protéger de la peste, surplombe l'entrée du Canavèse.

Le Canavèse est la région nord du Piémont, contiguë à la Vallée d'Aoste. Sa ville principale est Ivrea, notre destination du jour.

Nous reprenons le superbe sentier des Vignobles pendant 400 mètres pour gagner Carema.

Carema, Carême en français, signifie étymologiquement que la ville se situe à 40 milles romains d'Aoste. Les habitants se sentent d'ailleurs plus valdôtains que piémontais, au point qu'en 2007 ils demandèrent majoritairement le rattachement de leur ville à la Vallée d'Aoste. Mais aucun accord ne put être trouvé entre les parlements des deux régions.

Via Basilia, on peut observer une fontaine construite en 1571 en hommage aux Ducs de Savoie. Elle est protégée au titre d'héritage architectural et culturel du Piémont. 

Via San Matteo, nous découvrons la superbe église paroissiale Saint-Martin. Son intérieur est absolument époustouflant et son dôme impressionne. Comment un village d'à peine 800 habitants peut se payer un tel monument ?

D'autant qu'à proximité se trouve une seconde église. L'église des Disciples du Saint-Sacrement, aussi appelée église des Disciples de Saint-Mathieu.

Elle pourrait avoir été bâtie en 1644 mais ce sont ses fresques du XIXè siècle, exceptionnelles, qui font sa richesse. Fermée lors de mon passage, je ne pourrai malheureusement la visiter.

Nous continuons notre périple sur le sentier des Vignobles dans un cadre magnifique. Malheureusement ça ne dure pas longtemps car après 400 mètres nous n'avons d'autre choix que d'emprunter la route nationale SS26 pendant un kilomètre.

Puis nous quittons la nationale pour traverser le hameau d'Airale Inferiore. 

Avec la traversée du camping Mombarone et du Torrente Chiussuma, nous entrons sur le territoire de la commune de Settimo Vittone.

Dans le hameau typique de Torredaniele, l'église Saint-Pierre est remarquable par son clocher séparé de l'édifice principal.

Jusque Cesnola, un autre hameau de Settimo Vittone, la Via Francigena traverse la plaine sur un chemin parallèle à la Route Nationale SS26.

À Cesnola, la Via Balmi, comme figée dans un passé lointain, nous conduit à l'église Sainte-Agathe.

Nous poursuivons notre voyage dans le passé en direction de Settimo Vittone. S'il est un saint vénéré dans la région, c'est bien Saint-Roch, comme en témoigne la énième chapelle qui lui est dédiée et devant laquelle nous passons.

Certains détails de la végétation révèle déjà le caractère méditerranéen de l'Italie.

Settimo Vittone est bâti sur le flanc de la vallée. Le chemin qui monte vers la chiesa di Santa Maria delle Grazie est un véritable calvaire, au sens littéral du terme.

À proximité immédiate, dans un complexe datant probablement de la seconde moitié du IXè siècle, se trouvent le Pieve di San Lorenzo et le baptistère de San Giovanni Battista.

N'hésitez pas à passer le portique pour admirer l'ensemble de plus près. C'est un des plus anciens vestiges du Canavèse. Avec un peu de chance, vous pourrez admirer les fresques qui ornent l'église, hélas inaccessible lors de mon passage.

Au Moyen Âge, c'était une étape importante pour les pèlerins de la Via Francigena qui préféraient marcher sur les hauteurs de la vallée, moins dangereuses que le chemin le long de la Doire Baltée.

Jusqu'au château de Montestrutto, ce sont près de deux kilomètres absolument fabuleux qui nous attendent ! Il n'y a pas un mètre de cette portion de l'itinéraire qui ne nous enchante. Le bonheur total pour le randonneur !

Le château de Montestrutto, tel que nous pouvons le voir aujourd'hui, fut érigé au XIXè siècle par un général italien. Propriété privée, il ne se visite pas.

Un château existait ici déjà au IXè siècle et protégeait le monastère bénédictin voisin. Il fut toutefois démantelé au XVIè siècle par le Duc Charles III de Savoie afin de ne pas constituer une menace pour les troupes françaises de passage dans la région.

Au pied du château, on peut observer la petite église San Giacomo. Du rocher sur laquelle elle est bâtie, on bénéficie d'un magnifique panorama sur le Canavèse. On voit distinctement le relief s'adoucir, annonçant la plaine du Pô.

De Montestrutto à Borgofranco d'Ivrea, la Via Francigena retrouve la plaine. C'est tout de suite moins spectaculaire même si nous continuons à évoluer dans un environnement magnifique.

En s'éloignant de Montestrutto, on ne manquera pas de jeter un coup d'œil en arrière pour observer le château et l'église en haut de la falaise.

À l'angle de la Via Balma et de la Via San Germano, l'église San Germano nous ouvre ses portes.

Si à l'extérieur l'édifice ne paie pas de mine, à l'intérieur, on admirera son beau plafond coloré. Quant à l'imitation de grotte dédiée à Sainte-Marie, je vous laisse apprécier...

Pour rejoindre Borgofranco d'Ivrea, nous traversons le hameau de San Germano. En remontant la Via San Germano, on découvre les bâtiments désaffectés de l'ancienne brasserie De Giacomi.

Créée au tournant des années 1800, la brasserie connut un temps un certain succès commercial, même à l'international. Mais les affaires périclitèrent. L'entreprise fut partiellement transformée en établissement thermal d'une part et produisait de l'eau minérale d'autre part. Grandeur et décadence...

En arrivant dans le cœur historique de Borgofranco d'Ivrea, nous faisons face à la tour d'origine médiévale qui fait office de clocher pour l'église Notre-Dame du Rosaire et des Saints Maurice et Germano.

De style baroque, elle fut érigée en 1663. En 1792, la confrérie du Rosaire et la population s'associent pour la restaurer.

Près de trois kilomètres nous séparent ensuite du centre de Montalto Dora.

Pour moitié nous traversons des champs avant de pénétrer dans la forêt au pied du Monte di Maggio. Cette seconde moitié est super agréable même si nous avons perdu le côté sauvage rencontré précedemment.

Montalto Dora offre le charme typique des villes italiennes. Comme beaucoup dans la région, elle possède un château, une église bien sûr, et ici une villa qui fut un temps monastère bénédictin. On y trouve aussi deux petits lacs.

Toutes ces curiosités se trouvent hélas à bonne distance de la Via Francigena.

4,4 kilomètres, c'est ce qu'il nous reste jusqu'à l'arrivée à Ivrea mais, coup de théâtre !, le parcours de la Via Francigena a été modifié sans qu'il soit annoncé où que ce soit ! Ni sur le site, ni sur l'application Via Francigena !

En fait, Via Casana, alors que nous devrions normalement tourner à droite dans la Via Capella, le fléchage nous invite à continuer tout droit. Et ça, ce n'est pas du tout la direction d'Ivrea !

Quand on a déjà 25 kilomètres dans les jambes et qu'on ne sait pas où on va, ni combien de kilomètres en plus cela va nous obliger à marcher, ça vous met les boules... Mais bon...

La bonne nouvelle, c'est que ce détour va nous donner l'occasion de voir toutes ces curiosités dont je vous parlais plus haut, à l'exception de la chiesa di Sant'Eusebio.

Bon, de la villa Casana, transformée en monastère bénédictin de 1939 à 2003, nous ne verrons que le cèdre planté au début des années 1800 quand les jardins furent agrandis.

Un peu plus haut, nous découvrons la petite église Saint-Roch. Sa construction remonterait au XVè ou début du XVIè siècle. En revanche, le portique, lui, aurait été ajouté au XIXè.

Datant du XVIè siècle, les fresques qui couvrent entièrement les murs intérieurs constituent l'attrait principal de l'église, malheureusement fermée lors de mon passage.

Nous montons encore et bientôt apparaît le château de Montalto, sur le sommet du mont Crovero, à 405 mètres d'altitude.

Un premier château fut construit ici dans la première moitié du XIIè siècle, avec comme mission de défendre l'accès à la Vallée d'Aoste et de protéger la Via Francigena.

Vu sa position stratégique, il subit plusieurs assauts et destructions, un des plus remarquables étant le siège d'Ivrea en 1641 par les troupes françaises en guerre contre le duché de Savoie. À cette occasion, l'intérieur fut totalement démantelé, ne subsistant que les murs extérieurs.

Son aspect actuel date de 1890. Propriété privée, il ne se visite pas.

La petite route descend vers le lac Pistono que nous longeons ensuite par l'est sur un très beau sentier. Plusieurs points de vue nous offrent un spectacle magnifique qui nous fait vite oublier ce détour inattendu.

Le lac est le résultat de l'érosion provoquée par le retrait d'un glacier au Pléistocène. Nous n'étions pas encore nés !

Des fouilles archéologiques ont révélé l'existence sur les rives du lac, au Néolithique (nous n'étions pas nés non plus), d'un campement sur pilotis. D'où la reconstitution visible à proximité du lac.

L'itinéraire de la Via Francigena tel que décrit sur le site ou sur l'application, et celui que nous venons d'emprunter, se rejoignent à la chiesa di Santa Croce.

Nous avons donc fait un détour de 1.300 mètres mais, même si je n'ai pas emprunté l'autre chemin, ça en valait vraiment la peine !

Les trois derniers kilomètres avant l'arrivée à Ivrea alternent chemins et, majoritairement, routes asphaltées.

Il n'y a pas grand-chose de remarquable à mentionner si ce n'est le château d'Ivrea, en toute fin de parcours. Mais nous en parlerons demain, vous voulez bien ?

Car là, il faut que je prenne le bus pour aller récupérer ma voiture à Donnas et ensuite Kévin à Montestrutto. Cette nuit, nous logerons à Viverone...

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Si vous voulez revivre cette étape en vidéo 3D, c'est ci-dessous que ça se passe :

Appréciation du parcours :

À part de rares portions d'itinéraire plus banales, cette étape reste dans la veine de celles parcourues précédemment dans la Vallée d'Aoste. De superbes chemins dans un cadre magnifique.

Par endroits, nous avons ce sentiment nouveau que le temps est resté figé dans le passé. Mais n'est-ce pas là tout le charme de l'Italie, comme ces improbables églises dans des villages de quelques centaines d'habitants seulement ?

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Vous souhaitez parcourir cette étape de la Via Francigena ? Vous trouverez ci-dessous la trace GPX de l'itinéraire tel que je l'ai à peu près suivi. J'ai enlevé le détour vers l'Office de Tourisme de Pont-Saint-Martin mais j'ai par contre laissé les déviations dues à des travaux sur le parcours.

!!! Attention, nous sommes en montagne et le GPS peut perdre en précision. C'est pourquoi vous constaterez sans doute que la trace GPX ne correspond pas toujours avec le tracé des chemins sur la carte.

Soyez prudents si vous effectuez le parcours. Ne vous aventurez pas là où vous auriez un doute et suivez toujours le balisage du sentier !!!