13 Septembre 2023
Me voilà de retour sur la Via Francigena, seul cette fois.
Pour des raisons d'agenda, je veux avoir atteint Rome avant juin 2024. Je n'ai dès lors d'autre choix que d'allonger mes séjours sur le parcours. J'ai ainsi l'intention d'arriver cette fois-ci à San Gimignano, soit plus ou moins 420 kilomètres en 16 étapes.
Je n'ai jamais de ma vie enchaîné les étapes sur une telle distance, autant dire que je ne pars pas très confiant. Surtout que, n'ayant plus marché depuis le 16 août, je suis en manque d'entraînement et que, contrairement à l'habitude, je ne compte faire une pause que le dimanche au lieu du weekend complet.
Je débute évidemment cette première étape où je m'étais arrêté le 28 avril dernier, soit à la Grange bénédictine d'Orio Litta.
Mes pas devraient m'emmener jusque Piacenza - Plaisance en français - après un parcours d'un peu plus de 25 kilomètres sans grande difficulté, outre la distance, le long du Pô.
La Grange bénédictine existe depuis avant l'an 1000 quand elle était un établissement bénédictin avant de devenir une ferme. Aujourd'hui, elle abrite dans sa tour un hébergement pour quatre pèlerins. On peut y faire tamponner sa crédencial.
Il est pile 7 heures du matin quand je m'élance dans la Via Roma. Ce n'est pas exactement l'itinéraire officiel tel que balisé mais c'est pareil. Dans tous les cas nous arrivons à la villa Litta Carini.
Ce palais du XVIIè siècle construit dans un style lombard baroque a connu de nombreuses péripéties. Tout se passe plus ou moins bien jusqu'à sa vente en 1824 à un industriel anglais qui y installe une filature, qui connaît rapidement des difficultés financières.
Revendue en 1852 à la famille Litta, qui donnera son nom à la ville qui jusque là s'appelait Orio, la villa connaît une période faste, accueillant même le roi Umberto I d'Italie et Giacomo Puccini.
Mais voilà, les dettes s'accumulent et la villa est vendue de nouveau, en 1897. Jusqu'en 1970, elle change plusieurs fois de propriétaire. Utilisée comme ferme d'élevage et entrepôt de céréales, elle se dégrade fortement.
Aujourd'hui, elle abrite un musée d'antiquités et est louée pour des mariages, des conventions, ou d'autres événements.
Nous quittons Orio Litta dans un premier temps vers l'est par la Strada Provinciale 206. Puis la petite route, peu fréquentée à cette heure-ci, tourne résolument vers le sud.
Nous la laissons ensuite pour une plus petite route encore en direction de Corte Sant'Andrea, un hameau de Senna Lodigiana.
La campagne est belle sous le ciel de plomb qui couvre la région aujourd'hui. A l'horizon, le soleil levant embrase le ciel. Les cultures ont bien poussé, depuis le mois d'avril. Et jusqu'ici, aucun moustique-tigre en vue !
Peu avant Corte Sant'Andrea, le croisement de deux canaux, le Colatore Ancona et le Ramo della Roggia Venere, attirera peut-être l'attention des férus d'ingénierie.
Nous approchons de Corte Sant'Andrea. C'est ici que se trouve le fameux "Gué de Sigéric" où il était (est ?) possible de prendre un bateau pour traverser le Pô.
Rappelez vous, en avril nous nous étions renseignés, Kévin et moi, au sujet de ce bateau sur le Pô et il nous avait été dit qu'il ne fonctionnait plus à cause des périodes répétées de sécheresse.
Ce que semble confirmer le tracé dessiné sur le panneau affiché à l'entrée de Corte Sant'Andrea. Enfin... quand on ne lit pas tout ce qui y est écrit...
Et puis, parfois les circonstances ne vous aident pas. Alors que je monte sur la digue qui protège le hameau des crues du Pô, je rencontre deux dames pèlerins. Comme j'ai été bien élevé, je leur dis bonjour... Silence total ! Elles pressent même le pas pour m'éviter ! Eh oh, je pue ou quoi ?
C'est alors que j'aperçois en contrebas de la digue, à l'entrée du hameau, une sorte d'arc de triomphe. Eh bien, puisque ces deux dames ne veulent pas de ma compagnie, je redescends du talus pour aller voir ça de plus près...
A l'entrée du hameau se dresse effectivement un arc construit en 1782 à l'initiative du Prince Alberico II de Belgioioso pour commémorer son mariage avec Anna Ricciarda d'Este, fille du Duc de Modène.
Plutôt que de remonter sur la digue, je choisis de traverser le hameau qui est en bien piteux état. A la chiesa di Sant'Andrea, je fais une pause petit-déjeuner. Il est huit heures et je n'ai encore rien mangé depuis mon réveil à 4h30.
Rassasié, je reprends le chemin à travers Corte Sant'Andrea pour retrouver la digue du Pô au sud du hameau.
Ce faisant, je me retrouve au-delà du lieu d'embarquement pour la traversée du "Gué de Sigéric". J'hésite à suivre la digue vers le nord pour aller jusque là mais convaincu que le service de ferry n'existe plus, je choisis de continuer vers Piacenza.
Cette décision va me poursuivre toute l'étape...
A partir de Corte Sant'Andrea commence un long, très long voyage sur la digue du Pô.
Quand on marche à plusieurs, on peut encore faire passer le temps en discutant, mais seul on n'a que quelques "curiosités" pour se distraire, comme les quelques fermes abandonnées qui jalonnent le parcours...
Ou les quelques cyclistes qui profitent de cette petite route asphaltée dénuée de trafic automobile...
Pour le randonneur, il est peut-être possible de marcher en contrebas de la digue pour éviter l'asphalte, mais c'est se priver d'une vue à 360 degrés. Question de choix...
Alors, en voyant la silhouette des Apennins se profiler à l'horizon, on se met à rêver d'être déjà quelques jours plus tard...
Au bout de quatre kilomètres de digue, nous passons en surplomb de Guzzafame, un autre hameau de Senna Lodigiana...
Mais qu'il est long, ce chemin... Et une question permanente, lancinante, me hante... Que sont devenues les deux dames de Corte Sant'Andrea ? Ont-elles eu un bateau pour traverser le Pô ? N'aurais-je pas dû déjà les rattraper malgré ma pause petit-déjeuner ?
Le Pô n'est jamais très loin mais rares sont les occasions de s'en approcher de tout près. Je n'ai même pas envie d'aller y jeter un œil. Et si j'y voyais les deux dames me narguer en passant devant moi en bateau !?
Au bout de quatorze kilomètres, Valloria est en vue. Enfin un peu de distraction ?
Entretemps nous aurons fait une courte incursion sur le territoire de Somaglia, mais c'est complètement transparent.
Ouf ! Après onze kilomètres de marche, on quitte enfin la digue, pour traverser Valloria. Attention, il s'agit ici d'un hameau de Guardamiglio et non du magnifique hameau de Prelà perché dans les montagnes de Ligurie à quelques encablures de la frontière française !
La chiesa di San Fermo martire date de 1900. Je n'ai pas pu le voir car l'accès à l'église était barré au niveau du seuil d'entrée mais, sur le côté droit du transept, on peut admirer un crucifix retrouvé lorsque les eaux du Pô se retirèrent après des inondations au début du XXè siècle.
Après l'intermède de 1.300 mètres qu'offre la traversée de Valloria, nous retrouvons la digue...
A Guardamiglio, la Via Francigena longe une ZAC (Zone d'Activités Commerciales), sur le côté gauche.
Puis, une fois sur le territoire de San Rocco al Porto, c'est la Via Emilia, une voie à grand passage qui prend le relais pendant près de quatre kilomètres. Autant dire que ce n'est pas la partie la plus fun du parcours même si la campagne, sur le côté droit, vaut le coup d'oeil.
Le Parco commerciale San Sisto dépassé, le parcours prend une tournure intéressante. Nous empruntons le long pont qui traverse le Pô, quittant à l'occasion la Lombardie pour l'Emilie-Romagne.
Le Pô franchi, nous découvrons Piacenza, capitale de l'Emilie-Romagne, et ses bâtiments majestueux.
Située au carrefour de la Lombardie, du Piémont, de la Ligurie et de l'Emilie-Romagne, Piacenza a toujours eu une position stratégique, ce qui en fait aujourd'hui un nœud autoroutier et ferroviaire.
Cette position a aussi contribué largement à son développement économique. Peuplée de plus de 100.000 habitants, elle est aujourd'hui un important pôle logistique de niveau européen.
En remontant la Viale Risorgimento, on peut admirer le palais Farnese (photo 2 ci-dessous) et l'école primaire Mazzini (photo 3).
Débutée en 1561, la construction du palais Farnese n'aboutira jamais au projet initial qui sera définitivement abandonné en 1603. S'il est aujourd'hui le siège des Musées civiques de Piacenza et accueille les archives de l'Etat, le sort du bâtiment ne fut pas toujours des plus glorieux.
Entre 1734 et 1960, année de sa rénovation, il servit entre autres de caserne, dévastée par les troupes napoléoniennes, et de centre d'accueil pour les réfugiés après la Seconde Guerre Mondiale.
Au bout de l'artère, nous débouchons sur la Piazza dei Cavalli.
Le bâtiment le plus remarquable est probablement le Palazzo Comunale (photo 1 ci-dessous). Construit à partir de 1281 dans le style gothique lombard, le palais est appelé "le gothique" par la population locale.
A l'origine, il devait comporter quatre ailes mais une épidémie de peste interrompt les travaux et la dépression économique qui en résulte fera que le palais restera inachevé.
Lui faisant face, on trouve le Palazzo del Governatore (photo 3). Datant de 1787, bâti dans le style néoclassique, il abritait le Gouverneur jusqu'à l'annexion de la ville au Royaume de Sardaigne, en 1848. Aujourd'hui le rez-de-chaussée est occupé par une galerie marchande tandis que l'étage abrite la Chambre de Commerce.
A gauche du Palazzo Comunale, repoussé dans un coin, s'élève le Palazzo dei Mercanti (photo 4). Construit de 1676 à 1697, il abritait le Collège des Marchands jusqu'à l'époque napoléonienne. Après avoir été tour à tour, siège du collège électoral, tribunal du commerce, puis théâtre, c'est aujourd'hui le siège de la municipalité.
La place doit son nom à deux statues équestres du XVIIè siècle représentant l'une Ranuccio i Farnese (photo 2), l'autre son père, Alessandro Farnese, tous deux successivement ducs de Parme et de Piacenza.
Nous terminons cette étape de la Via Francigena devant la chiesa di San Donnino, quelques dizaines de mètres derrière la municipalité.
Voilà bien une église qui connut un destin particulier. Bâtie au XIIè siècle dans le style roman, elle fut transformée aux XVIIè et XVIIIè siècles dans le style baroque. Laissée à l'abandon au début du XXè, elle voit même sa disparition évoquée dans un projet d'agrandissement de la place.
Finalement elle sera rénovée et retrouvera à cette occasion son style roman d'origine !
Mais, au fait, que sont devenues les deux dames de Corte Sant'Andrea ?
Eh bien, figurez-vous que, en chemin vers la gare de Piacenza, je les croiserai, exténuées, Via Sant'Antonino, en sens inverse par rapport à l'itinéraire normal de la Via Francigena ! Allez comprendre...
Plus loin, dans le Giardini Merluzzo où je ferai une pause casse-croûte - après tout il n'est pas 12h30 quand je termine l'étape -, je ferai une autre rencontre. Un moustique-tigre ! Je n'en ai pas vu un seul de la matinée et voilà que je me fais piquer dans un parc du centre-ville !!!
**************
Vous voulez revivre cette étape en vidéo 3D ? C'est ici :
Appréciation du parcours :
Je ne peux pas écrire qu'il ne s'agit pas d'une belle étape, parce que ce n'est pas le cas, tout simplement. La campagne est belle mais 19 kilomètres de digue, sur les 26 finalement accomplis, c'est lassant. Surtout quand on est seul.
Et la partie le long de la Via Emilia n'est pas très agréable, en grande partie à cause du trafic automobile. Mais aussi parce que ce sont d'interminables lignes droites.
Je ne sais pas à quoi ressemble l'itinéraire historique traversant le Pô, pour ne l'avoir pas fait. Mais rien que pour le franchissement en bateau, c'est sûr qu'il faut privilégier cette option.
Sinon il ne reste plus qu'à vous trouver un compagnon ou une compagne de marche.
**************
Le gué de Sigéric
Bon, et alors, ce "gué de Sigéric", qu'en est-il finalement ?
L'étape terminée, je me suis rendu à l'Office de Tourisme de Piacenza, qui se trouve dans le Palazzo Comunale, pour tirer l'affaire au clair.
Il est toujours possible de traverser le Pô en bateau à hauteur de Corte Sant'Andrea. C'est Danilo qui assure le service. Mais Danilo a 82 ans et il n'est pas toujours en capacité de piloter sa barque. Il est donc nécessaire de le contacter à l'avance.
Attention, Danilo a un sacré caractère, confirmé par d'autres pèlerins rencontrés plus tard sur le parcours. Quand la dame de l'Office de Tourisme lui a téléphoné, en ma présence, il a commencé à m'invectiver quand elle lui a dit que j'étais Belge ! Apparemment, il devait transporter un Belge qui lui a fait faux bond mais ce n'était pas moi, je le jure !
Voici les coordonnées de Danilo :
Comment rejoindre cette étape ?
Bizarrement, je n'ai pas pu trouver de logement qui me convienne sur Piacenza.
Donc j'ai été hébergé chez Maria qui propose un superbe logement, à Pieve Porto Morone, à une petite trentaine de kilomètres à l'ouest de Piacenza. C'est peut-être un peu loin mais le trajet en voiture est direct et rapide.
De la gare de Piacenza, on peut rejoindre en train Orio Litta, avec toutefois une correspondance à Casalpusterlengo. Personnellement, j'ai pris le train de 6h07. Attention qu'à partir de 8h07, ce n'est plus un train mais un bus qui vous emmènera à destination.
Sinon, vous pouvez aussi loger entre Pavia et Orio Litta, mais ce sera moins pratique pour les étapes suivantes si vous voulez conserver le même logement plusieurs jours.
Et évidemment, pour les pèlerins, les vrais de vrais qui portent leur maison sur le dos, il y a toujours l'hébergement à la Grange bénédictine à Orio Litta.
**************
Vous souhaitez parcourir cette étape de la Via Francigena ? Vous trouverez ci-dessous la trace GPX de l'itinéraire tel que je l'ai suivi.