10 Juin 2021
Jeudi, le soleil brille encore de mille feux sur la Marne et mes pas m'emmènent cette fois de Vitry-le-François à... tenez-vous bien... Saint-Remy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson. Quarante-cinq caractères pour en faire le nom de commune de France contenant le plus de caractères. Le plus de traits d'union aussi. Sept.
Notez qu'on est très loin du nom local de Bangkok et ses cent-soixante-trois caractères : Krung Thep Mahanakhon Amon Rattanakosin Mahinthara Ayutthaya Mahadilok Phop Noppharat Ratchathani Burirom Udomratchaniwet Mahasathan Amon Piman Awatan Sathit Sakkathattiya Witsanukam Prasit.
Bon, heureusement, quarante-cinq, ce ne sera ni le nombre de kilomètres ni la température du jour. Avec vingt-et-un kilomètres et ses nombreux champs, cette étape semble assez similaire à celle d'hier.
Et si nous allions voir ça ?
Nous reprenons la Via Francigena là où nous l'avions laissée hier, c'est-à-dire au bord de la Marne, à hauteur du centre aquatique de Vitry-le-François. Direction sud pour rejoindre le pont de la N 4, sur la Marne.
La berge est boisée. C'est très bien, on n'entame pas tout de suite son capital soleil.
La Marne traversée, nous nous retrouvons aux Indes. Oui, bon, ne vous emballez pas, nous n'avons traversé aucune porte spatio-temporelle, c'est juste un hameau de Blacy ! De toute façon, avec le variant delta du coronavirus, vaut mieux les éviter pour le moment, les Indes !
Nous longeons la N 4 pendant trois-cents mètres. Ce n'est pas très fun mais une piste réservée aux piétons et aux cyclistes à été aménagée. Séparée de la route, on y évolue en toute sécurité.
Ensuite, nous prenons à gauche une route interdite au trafic automobile. Comme elle porte le nom de Vieille Route, j'imagine que c'est la route reliant anciennement Vitry-le-François à Blacy, avant la construction de la N 4.
Après être passés sous la ligne de chemin de fer Vitry-le-François - Châlons-en-Champagne, nous prenons à gauche dans les campagnes pour rejoindre un chemin parallèle à la Vieille Route. Jusqu'à un gué sur la Guenelle.
Nul besoin d'enfiler vos cuissardes ou votre maillot de bain, une passerelle pour piétons y est disponible.
Étrangement, l'église de Blacy ne se trouve pas au centre du village, comme c'est très souvent le cas. Située en lisière du village, c'est ainsi le premier bâtiment que nous découvrons.
Dédiée à Saint-Martin, elle a la particularité de posséder deux cadrans solaires sur sa façade sud. Plusieurs éléments intérieurs datant du XVIIIè siècle, comme son tabernacle en bois et marbre, sont classés monuments historiques.
Nous traversons alors Blacy d'est en ouest pendant sept-cents mètres, jusqu'à atteindre un chemin, sur la gauche, qui nous mènera à Huiron.
À moins que vous ne soyez très distraits ou pas encore bien réveillés, vous ne devriez pas manquer le panneau indicateur de la Via Francigena. S'il est toujours là...
Nous évoluons ainsi à travers champs - l'endroit s'appelle d'ailleurs les Grands Champs, c'est cohérent - en direction du Mont Vignereux dont nous éviterons toutefois le sommet en passant à l'est.
Une tour de télécommunications est installée à son sommet. Elle a dû m'hypnotiser parce que je me rends compte qu'elle apparaît sur toutes mes photos, sauf une !
Des vignobles couvrent le flanc sud du mont.
Laissons là le Mont Vignereux et approchons-nous du village de Glannes et son église... Son église ? Ben non, Glannes n'en possède pas !
Celle que nous pouvons apercevoir en descendant le Mont Vignereux est en fait celle de Huiron, qui se trouve juste derrière Glannes !
Nous contournons Glannes par l'est pour rejoindre Huiron en passant au-dessus de la Petite Guenelle.
Rappelez-vous, tout à l'heure, nous avions passé un gué sur la Guenelle. En réalité, il s'agit du même cours d'eau. Simplement que dans sa traversée de Glannes, là où il prend d'ailleurs sa source, il porte le nom de Petite Guenelle.
Avant de pénétrer dans Huiron, nous longeons d'abord le village sur le site d'une ancienne ligne de chemin de fer qui reliait Vitry-le-François à Châlons-en-Champagne. Ouverte en 1885, elle fut fermée au trafic voyageurs en 1938.
Aujourd'hui, sur quinze kilomètres jusque Sompuis, à l'ouest, elle a été transformée en trame verte et bleue pour la préservation de cinq-cent-cinquante espèces animales et végétales différentes, dont cent-vingt considérées comme rares. Elle est ouverte aux randonneurs, à l'exception du tunnel qui sert de refuge aux chauve-souris.
L'ancienne maison du garde-barrières est encore visible.
Située au sommet du village, face à la Mairie, l'église Saint-Martin nous accueille. Classée monument historique depuis 1915, elle faisait autrefois partie d'une église abbatiale plus grande. Ses nefs datent des XVè et XVIè siècles. À l'intérieur, plusieurs objets sont classés monument historique.
En route pour Courdemanges, nous pouvons contempler le Ruisseau des Granges et son lavoir en bois du XIXè siècle.
À Courdemanges, Monsieur le Maire m'accueille sur les marches de la Mairie. "Ah ? Vous n'êtes pas Monsieur le Maire ?"... "Bon, pas grave, bonne journée quand même !".
Je n'aurai pas plus de succès avec le curé à l'église Saint-Denis. Mais connaissant les difficultés à encore trouver des prêtres, y en a-t-il seulement un à Courdemanges ?
Dommage car cette église dont la construction débuta en 1833 est tout simplement magnifique. Enfin, c'est mon avis en tout cas. Son porche est inscrit comme monument historique depuis 1929.
Ah oui, tiens... Quelque-chose que je trouve curieux. À 11 heures, les cloches ont sonné l'heure. Mais c'était à la Mairie. Et là, les sirènes d'alerte se trouvent sur l'église ! Vous ne trouvez pas ça bizarre, vous ?
En route pour le Mont Moret. C'est le cas de le dire. Jusqu'au chemin qui accède au mont, nous empruntons une route asphaltée sur près d'un kilomètre.
Au passage, nous traversons un affluent de la Guenelle, la Cheronne/Chéronne/Charonne. Choisissez, on trouve les trois écritures !
Un panneau indique l'accès au monument militaire du Mont Moret. Commence alors l'ascension à travers champs.
À mon arrivée au monument, mon attention est immédiatement attirée par le drapeau français en lambeaux. Je trouve cela regrettable...
Le monument commémore la bataille du Mont Moret qui se déroula ici sur un front de seize kilomètres du 06 au 11 septembre 1914 dans le cadre de la bataille de la Marne.
Dominant la vallée, la tenue du mont avait pour enjeu le contrôle des passages sur les canaux et la Marne situés en contrebas et d'ainsi empêcher la progression des troupes allemandes vers Paris.
Le mont fut pris et repris plusieurs fois par les belligérants jusqu'à la victoire française et le repli des troupes allemandes le 12 septembre 1914. Les combats firent 3.200 morts et plus de 10.000 blessés du côté français et environ 4.000 morts du côté allemand.
À 134 mètres d'altitude, le monument ne se situe pas au sommet du Mont Moret, mais on y a néanmoins une belle vue qui permet déjà de se rendre compte de son intérêt tactique.
On y voit même la tour de télécommunications du Mont Vignereux !
Et voilà ce que cela donne depuis le sommet, à 158 mètres d'altitude. Vers le nord...
Et vers le sud.
C'est d'ailleurs vers le sud que nous continuons la randonnée.
Regardez bien cette arbre ! C'est à son pied que Baudouin, marcheur sur les traces de Sigeric, posa les fesses pour y consommer son sandwich du déjeuner !
Passant, souviens-toi !
Hmmm... Désolé, le soleil tape dur. Si, si !
Néanmoins, nous avons une belle vue d'ici, vous ne trouvez pas ?
Nous sommes exactement à la moitié de l'étape et jusqu'ici je ne me suis pas ennuyé.
Reprenant ma progression vers le sud, je découvre, à ma grande surprise, sur le sommet de la Noue de la Salle, à Châtelraould-Saint-Louvent, une pompe à hydrocarbures ! Mais est-ce vraiment ça ? Oui, me confirmera un agriculteur travaillant à proximité.
On m'avait pourtant dit que les Français n'avaient pas de pétrole mais que des idées !
Dans la Marne, c'est la société IPC Petroleum qui y exploite la majorité des gisements de pétrole. La production dans le Département fluctue entre 1.800 et 2.000 barils par jour. Dans le cadre de la transition énergétique, le gouvernement a décidé de mettre fin à la production d'hydrocarbures sur le territoire français à partir de 2040.
Pendant presque deux kilomètres, l'itinéraire suit la ligne de crêtes au beau milieu des champs.
C'est ici la fête à la noue : après la Noue de la Salle, nous avons en effet droit à la Noue des Fontaines, la Noue de Sommesous, et la Noue de Saint-Louvent.
Mais le pire est à venir puisque nous quittons la ligne de crête au Pire Mont, point le plus haut de la randonnée du jour, pour descendre vers Blaise-sous-Arzillières.
Au Pire Mont, nous prenons ainsi à gauche vers Blaise-sous-Arzillières. Un panneau indicateur de la Via Francigena est là pour nous le confirmer.
Dans la traversée de Blaise-sous-Arzillières, nous passons à proximité de l'église Saint-Louvent. Je n'ai trouvé aucune information sur l'église elle-même alors je me suis intéressé à ce saint dont je n'avais jamais entendu parler.
Né en 537, il devient abbé du monastère de Saint-Privat en Gévaudan. Ordonné prêtre en 576, il est par la suite assassiné par les hommes du comte du Gévaudan qui n'aurait pas apprécié ses propos tenus à l'encontre de la reine Brunehilde.
Selon la légende, des bergers auraient repêché son corps décapité dans l'Aisne. Mais c'est un aigle qui rapporta sa tête.
À la sortie de Blaise-sous-Arzillières, nous traversons la voie de chemin de fer Troyes - Vitry-le-François. Bien qu'elle semble désaffectée, elle est pourtant toujours en activité mais uniquement pour le fret.
Nous sommes ensuite partis pour trois kilomètres et demi presqu'en ligne droite dans la plaine alluviale de la Marne pour rejoindre Neuville-sous-Arzillières.
Le paysage alterne entre bandes boisées et champs. Quelques étangs sont visibles sur la fin.
Neuville-sous-Arzillières n'est pas une commune mais un hameau d'Arzillières-Neuville. Peu d'informations sont disponibles, et je n'ai rien trouvé sur son église Saint-Martin.
Nous sortons du hameau en direction d'Arzillières-Neuville par la route de Neuville. Cinq-cents mètres sur un asphalte brûlant.
Il est 14 heures quand j'arrive à une bifurcation, une petite halte à l'ombre s'impose avant d'aborder la dernière partie du trajet.
Trois kilomètres, la distance qu'il reste avant d'atteindre Saint-Remy-en-Bouzemont. Si je les compte, c'est parce que ce ne seront pas les plus faciles. La chaleur aidant, la fatigue se fait sentir et il n'y aura quasi aucun passage à l'ombre avant le passage de la ligne d'arrivée.
Cimetière de Saint-Remy-en-Bouzemont, ça sent la fin ! Waow ! La fin de l'étape, hein !
L'étape se termine à la Mairie de Saint-Remy-en-Bouzemont, quelques dizaines de mètres après la très belle église Saint-Remy. Si sa nef date du XVIIIè siècle, le chœur et le transept remontent, eux, au XVIè siècle.
La chaleur étouffante du jour m'aura encore empêché d'apprécier pleinement cette étape qui ne manque pourtant pas de charme.
L'alternance de villages au patrimoine intéressant et de passages en pleine nature fait que la première moitié de l'itinéraire passe vite, au point que les kilomètres défilent sans qu'on s'en rende vraiment compte.
La seconde moitié, avec ses longues lignes droites où il est souvent difficile de trouver un peu d'ombre, m'a au contraire paru ne jamais finir. La fatigue accumulée sur quatre jours de marche et la chaleur ont sans doute joué un rôle dans ce ressenti.
Quoiqu'il en soit, ce fut quand même, à mon humble avis, et jusqu'à présent, la plus belle étape de la semaine. J'ai hâte de découvrir ce que me réserve celle de demain.
Un accueil cinq étoiles !
Lorsque j'arrive sur le parking de la Mairie de Saint-Remy-en-Bouzemont, deux personnes, un homme et une dame - Alain et Christine, je l'apprendrai plus tard après avoir fait les présentations -, probablement employés de la Mairie, sont occupés à planter des arbustes.
J'y vois là l'opportunité de leur demander comment je peux revenir de Lentilles, fin de l'étape de demain, après y avoir laissé ma voiture.
"Bonjour !"...
"Bonjour !", me répond Christine...
"Je m'appelle Baudouin. Je fais la Via Francigena, pas comme pèlerin, mais comme touriste. Demain, je vais jusque Lentilles où je vais laisser ma voiture. Comment je peux revenir de là jusqu'ici ? Il y a des transports en commun ? D'autres choix que le taxi ?"...
"Ah... Ben, il y a moi", me répond-t-elle tout de go !
"Euh... Vous seriez d'accord de venir me chercher à Lentilles demain matin ?", lui demandai-je, interloqué...
Je vous épargne la suite mais nous nous mettons d'accord sur un rendez-vous à la Mairie de Lentilles le lendemain à 09 heures.
Décidément, dans la Marne, les gens ont un cœur grand comme ça ! En tout cas, c'est sûr, je n'oublierai jamais mon passage à Saint-Remy-en-Bouzemont.
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Mémorable rencontre !
Samedi 19 juin 2021. Alors que je remonte vers Lille depuis la Haute-Marne où je viens de terminer mon périple de deux semaines sur la Via Francigena, Frédéric m'apprend que son étape du jour l'emmène à Saint-Remy-en-Bouzemont.
Pouvait-il y avoir meilleure occasion pour aller l'encourager et le soutenir dans son périple qui débuta le 01 juin dernier à Calais ? Imaginez, 560 kilomètres en 19 étapes soit une moyenne de près de 30 kilomètres par jour ! Ca mérite bien quelques encouragements, non ?
À midi pile, Frédéric apparaît sur le chemin où je l'attends pour parcourir ensemble les quelques centaines de mètres qui nous séparent de l'entrée du village.
Monsieur le Maire de Saint-Remy-en-Bouzemont vient à son tour l'accueillir sur le parking de la Mairie. Et, ensemble, nous allons dans son bureau immortaliser la signature du credential de Frédéric.
Après avoir visité et réceptionné les clefs de son logement au refuge d'étape, nous cassons la croûte assis sur un banc, à l'ombre, sur le parking de la Mairie. Tout simplement.
L'occasion pour nous de faire plus ample connaissance - nous ne nous sommes rencontrés qu'une fois avant son départ, inopinément, à la base de loisirs de Wingles, lors de l'un de ses entraînements - et d'échanger sur nos expériences respectives sur la Via Francigena.
Même si nous n'avançons pas au même rythme et que nous vivons cette aventure différemment, nous ressentons un égal sentiment de bonheur.
Et nous mesurons bien la chance que nous avons de pouvoir évoluer dans cette nature qui nous enchante, de rencontrer des gens sympathiques et accueillants partout où nous passons, de visiter des villes et villages au patrimoine insoupçonné.
C'est l'occasion aussi de se (re)découvrir. Puis de partager tout ça.
Bref, ce fut un moment génial, comme le dit Frédéric.
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Si vous souhaitez faire cette étape de la Via Francigena, vous trouverez ci-dessous la trace GPX :